Acide fulvique du shilajit : bienfaisant ou dangereux ?

Modifié le 15 février 2024

Temps de lecture : 7 minutes
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bol de shilajit

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L’acide fulvique est une substance organique du sol, extraite du shilajit. Les bienfaits supposés qui lui sont parfois attribués n’ont été validés par aucune étude scientifique sérieuse. Pire, certaines données suggèrent même qu’il pourrait s’avérer dangereux dans certaines circonstances.

L’acide fulvique, qu’est-ce que c’est ?

L’acide fulvique est un composant de l’humus, la couche de sol issue de la décomposition de matières organiques (feuilles mortes, restes d’animaux…) par les bactéries et champignons. Il fait partie des substances humiques, aux côtés de l’acide humique et de l’humine. Ces trois composés ont des propriétés physico-chimiques différentes. L’acide fulvique se distingue par sa solubilité, sa richesse en oxygène et son faible poids moléculaire.

Schéma montrant les différents types de substances humiques du matériaux parents à l'acide fulvique ainsi que leurs caractéristiques.
Il existe différents types de substances humiques aux caractéristiques spécifiques.

Usage traditionnel en Ayurveda

Shilajit résine noire sortant de la roche à flanc de montagne
Le shilajit est une substance d’origine organique suintant des rochers.

La médecine traditionnelle indienne, l’Ayurveda, a recours à une substance naturelle riche en acide fulvique, le shilajit. Cet exsudat de couleur brun pâle à noirâtre émane des roches dans certaines zones montagneuses, à une altitude comprise entre 600 et 5000 mètres. Elle contient principalement de la matière organique, mélangée à 20 à 40% de matières minérales et 5% d’éléments traces divers. On attribue au shilajit de multiples bienfaits pour la santé. Il serait notamment tonique, laxatif, expectorant, diurétique, immunomodulateur, antihypertenseur lorsqu’il est consommé par voie orale. En usage externe, il réputé antiseptique et analgésique.

Effets supposés

Selon certains auteurs, la prise de shilajit ou d’acide fulvique aurait les effets d’une panacée, capable de prévenir ou de venir à bout d’une grande variété de pathologies comme le diabète, la maladie d’Alzheimer ou le cancer. Il aiderait l’organisme à se détoxifier, tout en luttant contre la fatigue. Si les promesses sont alléchantes, la science est bien moins affirmative.

Des propriétés ambiguës

Les travaux de recherche menés sur l’acide fulvique révèlent qu’il exerce une activité biologique chez les êtres vivants. Il oriente notamment certains processus liés à l’inflammation et à l’immunité, parfois dans des directions opposées.  

Effets immunosuppresseurs

Des études en laboratoire ont montré que l’acide fulvique parvient à réduire la production de l’histamine – un médiateur des réactions allergiques – par les basophiles et les mastocytes. Il atténue par ailleurs la production des messagers inflammatoires comme l’interleukine-6. Si ceux-ci sont utiles pour assurer le recrutement des globules blancs en cas d’agression, leur excès est parfois dommageable. Une étude conduite chez l’animal a mis en exergue la capacité de l’acide fulvique à accélérer la cicatrisation de plaies infectées par des bactéries résistantes aux antibiotiques grâce à ce processus.

Le système immunitaire est chargé de protéger l’organisme contre les menaces extérieures (virus, bactéries, parasites…) ou intérieures (cellules cancéreuses). En cas d’allergie, il réagit de façon excessive à un élément banal de l’environnement, comme les pollens ou poils d’animaux. L’activation anormale des cellules immunitaires est responsable des symptômes typiques observés :  larmoiement, nez qui coule, démangeaisons cutanées…

Photo de paysage représentant une forêt avec des arbres en contrebas d'une falaise. Le shilajit, la résine noire sort de la falaise.
Le shilajit à son état naturel

Effets immunostimulants

En parallèle de ces effets temporisateurs sur certains aspects de la réponse immunitaire, l’acide fulvique agit parfois comme un facteur stimulant. Une expérience a mis en évidence une activation de l’immunité humorale chez des rats dont l’alimentation a été enrichie en acide fulvique.

Elle fait intervenir la production d’anticorps par certains globules blancs, les lymphocytes B. Le volume des tissus qui hébergent ce type de défenses immunitaires localisés dans la rate et l’intestin grêle a augmenté suite au traitement.

Il existe ainsi un grand flou sur la manière dont l’acide fulvique peut agir en cas de maladies impliquant des déséquilibres du système immunitaire, comme les maladies auto-immunes par exemple. Dans le cadre de celles-ci, les lésions qui apparaissent chez les patients sont en partie liées à l’action d’anticorps dirigés contre certains constituants de l’organisme, les auto-anticorps.

Effets sur le potentiel antioxydant

Cette ambivalence de l’acide fulvique est également observée par rapport au stress oxydant. Ce phénomène implique un excès d’espèces réactives de l’oxygène ou de l’azote. Il induit des dommages à l’organisme, et il est à l’œuvre dans de nombreuses situations pathologiques. Certains travaux ont souligné le rôle antioxydant de l’acide fulvique. Administré à des animaux dont le muscle cardiaque a été endommagé, il augmente la production de plusieurs substances au pouvoir antioxydant : le glutathion, la superoxyde dismutase et la catalase.

L’exemple de la maladie de Kashin-Beck

À l’opposé, des expériences conduites sur des cultures cellulaires de cartilage montrent que certains groupements chimiques de l’acide fulvique peuvent générer un stress oxydant. En conséquence, les lipides qui composent les membranes des cellules de ce tissu subissent une peroxydation.

On le soupçonne ainsi d’avoir une part de responsabilité dans la survenue d’une pathologie chronique articulaire courante dans certaines régions de Chine, la maladie de Kashin-Beck. L’eau du robinet consommée par les habitants est chargée de matières organiques, notamment sous forme d’acide fulvique. De forts apports en cette substance humique, conjuguée à une déficience en sélénium aux vertus antioxydantes, favoriseraient l’installation de ce trouble.

Le caractère pro-oxydant de l’acide fulvique est d’ailleurs ce qui lui permettrait de disposer de propriétés anticancéreuses. Il favoriserait la production d’oxyde nitrique et d’espèces réactives de l’oxygène qui provoquent la destruction des cellules cancéreuses, comme cela a par exemple été montré in vitro sur des cellules de cancer du foie.

Données sur l’efficacité de l’acide fulvique chez l’homme

Les propriétés de l’acide fulvique ont été pour leur grande majorité mises en évidence lors d’études conduites sur des cultures cellulaires ou sur des animaux de laboratoire.

Les bienfaits sur la santé attribués à l’acide fulvique sont des extrapolations de ces découvertes, or de nombreuses molécules présentent des propriétés miraculeuses sur des cultures cellulaires pas in vivo (en vrai) ; par exemple le curcuma.

Des assertions basées sur des études en laboratoire

L’acide fulvique est par exemple souvent présenté comme une arme contre la maladie d’Alzheimer. Le point de départ de cette affirmation provient d’une étude in vitro.

Dans le cadre de cette maladie neurodégénérative, des protéines tau, importantes pour la structure des neurones, s’agglomèrent les unes aux autres. Après avoir ajouté de l’acide fulvique à ces protéines, des chercheurs ont constaté que celui-ci s’oppose à ce phénomène. Il va encore plus loin, parvenant à désassembler les amas déjà formés.

Ces conditions expérimentales sont cependant bien éloignées de ce qui se passe chez un être vivant. Les résultats obtenus n’attestent en aucun cas que l’acide fulvique, consommé par voie orale, pourrait atteindre le cerveau en quantité suffisante et y exercer cette action protectrice. Des travaux complémentaires devront être menés chez l’animal, puis l’être humain pour le vérifier. Si ces résultats sont prometteurs, il est absolument abusif de proposer aux consommateurs des compléments d’acide fulvique pour se prémunir de la maladie d’Alzheimer.

Schéma synthétisant la fabrication à partir de la protéine Tau de filaments hélicoïdals appariés. In Vitro, les filaments non traité s'enchevêtrent provoquant les Tauopathies. En présence d'inhibiteur de kinases ou de bleu de méthyléne ou d'acide fulvique, les filaments hélicoïdales se désagrègent pour reformer des protéines Tau.
L’acide fulvique désagrège les amas de protéines tau in vitro

Études cliniques humaines

Les quelques études menées chez l’homme n’ont pas donné de résultats saisissants.

L’administration d’acide fulvique couplée à des probiotiques n’a pas soulagé les symptômes de personnes souffrant de troubles digestifs fonctionnels.

Un essai clinique mené auprès de personnes porteuses du VIH n’a pas pu mettre en évidence d’effets significatifs au niveau de l’immunité des participants. Elle a en revanche souligné une plus grande fréquence de troubles digestifs(diarrhée, nausées et vomissement) avec la prise d’acide fulvique.

L’application deux fois par jour d’un dérivé d’acide fulvique chez des personnes souffrant d’eczéma a réduit l’intensité des lésions cutanées, mais au prix d’une sensation de brûlure à son contact.

L’efficacité du shilajit reste également à évaluer

Les données scientifiques permettant d’attester les bienfaits mis en avant pour le shilajit sont également peu nombreuses. À la suite d’une étude de la littérature consacrée à cette substance, des chercheurs ont conclu que, malgré une longue histoire d’usages traditionnels, son évaluation rigoureuse fait défaut. Ils précisent :

« L’activité antioxydante in vivo du shilajit a été étudiée à une dose non pertinente et sans utiliser de témoin positif. L’activité immunomodulatrice ne résiste pas au test de l’évaluation critique et peut actuellement être considérée comme non prouvée ».

Eugene Wilson et al.

Une composition variable

Depuis cette publication, deux études ont suggéré un intérêt sur la fonction musculaire d’une supplémentation à base de 500 mg de shilajit pendant 8 à 12 semaines. Elles ont été conduites chez des sportifs amateurs pour l’une, des hommes en surpoids pour l’autre.

Menées auprès d’un petit nombre de participants, ces résultats devront être consolidés. Il existe de plus un écueil avec ce composé naturel. Le shilajit contient un grand nombre de substances qui s’ajoutent à l’acide fulvique, il est ainsi difficile de savoir lesquelles sont responsables des effets observés.

Sa composition est en outre variable selon les sources utilisées pour préparer le supplément. Elle est en effet influencée par différents facteurs, comme la nature du sol et des espèces végétales environnantes, la température, l’humidité et l’altitude du lieu où il est prélevé. Le shilajit de la région du Kumoan en Inde contient par exemple plus d’acide fulvique (21,4%) que celui du Népal (15,4%). Ces variations de composition rendent incertaine la reproductibilité des résultats.

Effets secondaires

La prise d’acide fulvique sur le court terme est à priori considérée comme sûre. Dans une étude menée auprès de 30 volontaires, la consommation de 15 mL d’un dérivé glucidique d’acide fulvique pendant quelques jours a été bien tolérée.

Les doses plus élevées, de 40 mL, ont été accompagnées d’effets indésirables modérés et transitoires : diarrhée, maux de tête et de gorge, probablement liés à l’acidité du produit. Les données concernant les effets d’une supplémentation à long terme sont manquantes. Des informations obtenues chez l’animal alertent sur un possible impact de l’acide fulvique sur le fonctionnement de la glande thyroïde. Ses interactions éventuelles avec des médicaments sont encore peu documentées.

Risques de contamination

Du côté du shilajit, la dose de 500 mg par jour pendant quelques semaines apparaît bien supportée par l’organisme.

Cette matière naturelle doit être purifiée avant d’être consommée, car elle peut contenir des produits indésirables comme des mycotoxines, des métaux lourds ou des composés oxydants.

Selon une étude menée aux États-Unis, tous les fabricants ne semblent pas rigoureux sur la qualité de leurs produits. Cette dernière a mis en évidence la présence de plomb dans certains compléments alimentaires d’Ayurveda vendus sur internet, le shilajit et d’autres plantes communes à la médecine indienne comme l’ashwagandha, le purnarnava, le gokshura aussi connu par le nom tribulus terrestris et le bakuchi notamment. Un comble pour des produits présentés comme détoxifiant.


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