Comment les anti-inflammatoires bloquent la croissance musculaire
Si l’exercice physique (musculation notamment) permet de gagner du muscle, certains médicaments peuvent entraver le développement de la masse musculaire. C’est le cas des médicaments les plus utilisés par les sportifs, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), soit notamment :
- l’acéclofenac
- le celecoxib (Celebrex)
- le diclofénac (Voltarène)
- l’ibuprofène (Advil, Nurofen, Nurofen Flash, Spedifen)
- le kétoprofène (Ketum)
- le naproxène
Le mécanisme cellulaire de la croissance musculaire
Tout au long de notre vie, nos muscles sont capables de se régénérer. Ainsi, l’exercice musculaire les renforce, et, après une blessure, le muscle se réorganise. La croissance musculaire est permise par l’augmentation de la taille et du nombre des fibres musculaires, ou myocytes.
Elle débute par la prolifération des cellules satellites, capables de se différencier en cellules musculaires. Ces cellules souches situées à proximité des fibres musculaires squelettiques se trouvent le plus souvent à l’état quiescent : elles ne se divisent pas.
Lorsque les cellules satellites sont activées, elles vont pouvoir régénérer du muscle en proliférant et en devenant des myoblastes. Les myoblastes fusionnent et sont à l’origine des fibres musculaires squelettiques.

Les fusions de cellules permettent d’augmenter le nombre de noyaux de la cellule musculaire. Les cellules satellites peuvent également fusionner entre elles afin de réparer des lésions musculaires. Il existe toujours un stock de cellules satellites à l’état dormant.
Le facteur de transcription Srf pilote le comportement des cellules satellites
Le développement de la masse musculaire requiert l’intervention d’un facteur de transcription appelé Srf, pour Serum response factor (facteur de réponse sérique). Ce facteur de transcription indique aux cellules satellites qu’elles doivent fusionner avec les cellules musculaires.
En cas de lésions musculaires, les cellules satellites activées migrent vers le site endommagé, prolifèrent et produisent des myoblastes pour régénérer du tissu musculaire par fusion de cellules.
L’inhibition de la croissance des muscles dépend du dosage en AINS
En 2017, une étude de l’institut Karolinska en Suède a testé l’effet des anti-inflammatoires non-stéroïdiens en fonction de leur dosage lors d’un entraînement, sur une période de huit semaines. Les 31 participants, hommes et femmes en bonne santé âgés de 18 à 35 ans, ont été répartis en deux groupes. 15 d’entre eux ont reçu 1,2 g d’ibuprofène par jour, ce qui représente une dose élevée mais conforme aux usages courants. Les 16 autres participants ont eu droit à une dose active mais très faible d’aspirine (75 mg par jour).
Pendant la durée de l’expérience, les participants ont réalisé des exercices de résistance qui sollicitaient les muscles des jambes. Le volume des muscles quadriceps a augmenté dans les deux groupes, mais significativement moins dans le groupe “ibuprofène à haute dose” (3,7 %) que dans le groupe “aspirine à petite dose” (7,5 %). L’augmentation de la force musculaire a suivi la même tendance.
Les auteurs en concluent que :
les jeunes qui utilisent l’entraînement en résistance pour maximiser la croissance ou la force musculaire devraient éviter de consommer excessivement des anti-inflammatoires.
Lilja M. et al.
Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens réduisent la production des prostaglandines
Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens agissent sur les cyclo-oxygénases (COX), des enzymes qui permettent la formation de prostaglandines à partir d’acide arachidonique. La prise de ces médicaments diminue donc la production de prostaglandines.
Les prostaglandines promeuvent les phénomènes inflammatoires et exacerbent les sensations douloureuses, ce qui explique que les AINS puissent les soulager. Mais les prostaglandines agissent également sur le renouvellement des protéines et donc sur l’adaptation du muscle à l’exercice.
L’ibuprofène et le paracétamol entravent la synthèse des protéines
Lors d’une étude américaine de l’université de l’Etat de Ball, 24 hommes ont été séparés en trois groupes : certains ont pris de l’ibuprofène (1,2 g par jour), d’autres du paracétamol (4 g par jour) et les autres un placebo. Les participants recevaient ces traitements après un exercice de résistance intense.
Résultats : 24 heures après l’exercice, la synthèse de protéines dans les muscles a augmenté de 76 % dans le groupe placebo, mais pas dans les deux autres groupes. Ibuprofène et paracétamol ont donc inhibé la synthèse protéique. Des études chez l’animal montrent que ce phénomène passe par l’inhibition des prostaglandines.
Par conséquent, l’ibuprofène empêche l’adaptation normale du muscle à l’exercice, en bloquant la fabrication de nouvelles protéines suite à l’entraînement. Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens agissent sur les voies de signalisation de la synthèse protéique, qui permettent le renouvellement des protéines dans les tissus.

Les anti-inflammatoires agissent sur des voies de signalisation cellulaire
L’action des anti-inflammatoires sur la signalisation cellulaire a été démontrée dans une étude néo-zélandaise parue en 2014. 16 hommes sportifs ont pris un placebo ou 1,2 g d’ibuprofène en trois prises de 400 mg : 30 min avant, puis 6h et 12h après un exercice de résistance. Les biopsies ont révélé que l’ibuprofène empêchait l’activation de certaines voies de signalisation impliquées dans la synthèse protéique.
Plusieurs études ont montré que les anti-inflammatoires non stéroïdiens empêchent l’augmentation du nombre des cellules satellites, normalement observé après un exercice. Par ailleurs, l’ibuprofène empêche la migration des cellules satellites vers les lésions musculaires.
Les AINS doivent être évités par les jeunes sportifs
Il apparait donc que les anti-inflammatoires non-stéroïdiens interfèrent avec le processus de régénération cellulaire après l’exercice et affaiblissent les muscles chez les jeunes sportifs. En raison de ces effets négatifs, ils devraient être pris avec précaution par les jeunes athlètes.
Selon certains auteurs, les anti-inflammatoires seraient peut-être bénéfiques chez les plus âgés en favorisant la prise de masse musculaire, mais en réalité l’explication est toute autre : la plupart des personnes âgées souffrent de douleurs articulaires et la prise d’anti-inflammatoires leur permet de s’entrainer plus efficacement et plus longtemps, ce qui peut se traduire par de meilleurs résultats.
Références
- Cadot C, La différenciation des cellules musculaires striées squelettiques, Site Planet-Vie/ENS., 2018
- Asakura A et al., Myogenic specification of side population cells in skeletal muscle, J Cell Biol., 2002
- Biologie de l’augmentation de la masse musculaire, Site Médecine Sorbonne Université, Ressources numériques.
- Guerci A et al., Srf-Dependent Paracrine Signals Produced by Myofibers Control Satellite Cell-Mediated Skeletal Muscle Hypertrophy, Cell metabolism., 2012
- Lilja M et al., High doses of anti‐inflammatory drugs compromise muscle strength and hypertrophic adaptations to resistance training in young adults, Acta Physiologica., 2017.
- Liao CH et al., Ibuprofen inhibited migration of skeletal muscle cells in association with downregulation of p130cas and CrkII expressions, Skelet muscle., 2019
- Lundberg TR, Howadson G, Analgesic and Anti-Inflammatory Drugs in Sports: Implications for Exercise Performance and Training Adaptations, Scand J Med Sci Sports., 2018
- Markworth JF, Vella LD, Figueiredo VC, Cameron-Smith D, Ibuprofen treatment blunts early translational signalling responses in human skeletal muscle following resistance exercise, J Appl Physiol (1985)., 2014