Articulations qui craquent : faut-il s’inquiéter ?
Craquements, grincements, claquements… Nos articulations peuvent émettre des manifestations sonores lorsqu’elles sont sollicitées. Elles surviennent plus ou moins fréquemment et alimentent volontiers certaines craintes. Dans la plupart des cas ces bruits sont anodins, mais parfois ils sont annonciateurs d’un problème au niveau articulaire.
Les bruits générés par une articulation saine
Les articulations mobiles comme le genou, l’épaule ou la cheville sont les lieux de jonctions entre deux os qui procurent à notre corps sa capacité à se mouvoir.

L’intérieur de ces articulations est tapissé par la membrane synoviale, qui produit un liquide aux fonctions lubrifiantes et nourricières. Riche en nutriments et en acide hyaluronique, il comporte également des gaz dissous (80% de gaz carbonique, de l’oxygène et de l’azote).
L’extrémité des os est recouverte de cartilage. Des tendons établissent un lien entre les os et les muscles qui les recouvrent tandis que les ligaments assurent la liaison entre les os.
Ces différentes composantes de l’articulation peuvent générer des sons, désignés par le terme « crépitations » dans le jargon médical.
Formation bruyante d’une bulle de gaz
Les gaz présents dans le liquide synovial sont à l’origine d’une partie des sons émis par les articulations, à l’œuvre dans le craquement des doigts par exemple.
Pour mieux comprendre ce phénomène, des chercheurs canadiens ont utilisé une technique d’imagerie, l’IRM en temps réel, pour assister à ce qu’il se passe à l’intérieur de l’articulation quand elle craque. Pour cela, un des membres de l’équipe s’est placé dans le dispositif tandis qu’une traction de ses doigts était réalisée.

À mesure que les forces de traction augmentaient, les images ont révélé la formation d’une cavité gazeuse à l’origine de la production du son typique de craquement de doigt.
Elle a persisté après l’émission sonore, pour finir par disparaître à l’arrêt de la traction. Silencieusement cette fois-ci.
Faire craquer ses articulations augmente-t-il le risque de maladie articulaire ?
Les personnes adeptes du craquement de doigts entendent souvent que cette mauvaise habitude risque d’endommager leurs articulations.
Pour tordre le cou à cette idée, le docteur Donald Unger s’est montré persévérant : pendant 60 ans, il a fait craquer les doigts d’une seule de ses mains. Sans développer au final d’affection articulaire ni à l’une, à l’autre.
Au-delà de cette étude anecdotique, qui a valu le prix parodique Ig-Nobel de médecine de 2009 à son auteur, la plupart des travaux qui se sont intéressés à ce sujet n’ont pas permis de mettre en évidence un risque accru d’arthrose chez les personnes qui font craquer leurs doigts.
Tendons et ligaments peuvent générer des claquements
Les ligaments et les tendons présents au niveau de l’articulation peuvent également être à l’origine de bruits. Ils s’étirent parfois légèrement en passant par-dessus une petite protubérance osseuse avant de revenir en place dans un claquement sec.
La « hanche du danseur » désigne une situation bien connue des amateurs de cette discipline. Un claquement se manifeste au niveau de la hanche lors de certains mouvements, pouvant donner l’impression qu’elle se déboîte. Il est provoqué par l’accrochage d’un tendon, celui du psoas par exemple (un muscle fléchisseur), sur un relief osseux.
Liens entre maladies et craquements articulaires
Certains bruits émanant des articulations traduisent cependant la présence d’une lésion. Plusieurs situations pathologiques peuvent générer des bruits au niveau des articulations.
Des crépitations articulaires associées à l’arthrose

L’arthrose est caractérisée par une dégénérescence progressive du cartilage et l’apparition d’éperons osseux (ostéophytes) au niveau des articulations qui peuvent générer des crépitations.
Une étude menée au Vietnam auprès d’un groupe de 658 personnes de plus de 40 ans a montré que 38% des femmes et 17% des hommes rapportaient percevoir des craquements au niveau du genou. Le risque d’arthrose du genou était plus important chez celles-ci par rapport aux personnes dont les articulations étaient silencieuses.
Des bruits articulaires annonciateurs d’arthrose symptomatique
La présence de crépitations au niveau du genou pourrait être un signe précoce de cette maladie articulaire dégénérative. Des chercheurs ont étudié environ 3500 personnes d’âge moyen, qui ne ressentaient pas de symptômes d’arthrose du genou au début de l’étude. Ce groupe a été suivi sur une période de deux ans.
Les analyses ont montré que le risque de développer une arthrose symptomatique augmente avec la fréquence des crépitations : il est multiplié par 1,5 chez ceux en ressentant rarement, par 1,8 quand elles se manifestent parfois, par 2,2 lorsqu’elles surviennent souvent et par 3 lorsqu’elles sont toujours présentes.
Entendre ses articulations craquer peut contribuer à un effet nocebo
La présence de bruits au niveau des articulations peut modifier la manière dont les personnes perçoivent la sévérité de leur affection.

Une étude a comparé la situation de personnes souffrant d’arthrose du genou, selon qu’elles ressentent ou non des crépitations. Dans le premier cas, les participants concernés déclaraient avoir une moins bonne fonction articulaire, des douleurs plus intenses et une qualité de vie altérée par rapport aux participants dont les genoux étaient silencieux.
Les tests évaluant de façon objective la fonction articulaire n’indiquaient cependant pas de différence entre ces deux groupes.
Dans cette même étude, une partie des personnes mentionnaient la présence de bruits sur un seul de leurs genoux arthrosiques. Elles rapportaient également une moins bonne fonction de leur genou bruyant, sans que cela ne puisse être objectivé par les tests évaluant la force de leurs jambes ou le niveau de douleur. Dans ce cas, on parle d’effet nocebo, l’inverse de l’effet placebo.
Craquements lors d’une lésion du ménisque

Le genou présente deux ménisques, des structures cartilagineuses qui absorbent les chocs. Une déchirure du ménisque peut se produire chez de jeunes sportifs dans le cadre de leur pratique ou chez personnes plus âgées simplement en accomplissant des activités de la vie quotidienne.
Une étude menée en Corée du Sud a montré que 96,5% des personnes qui présentent une lésion du ménisque interne ont ressenti un craquement douloureux au niveau du genou.
Mais dans ce cas il s’agit d’un craquement ponctuel, lors de la blessure et non d’un craquement chronique.
Plica pathologique ou repli synovial
Les bruits articulaires peuvent également témoigner de la présence de plicae, des replis de la membrane synoviale vestiges du développement embryonnaire et persistant chez une partie de la population.
Une de celles-ci, la plica antéro-médiale, peut devenir problématique et provoquer des douleurs et un blocage du genou, accompagnés de craquements.
Le syndrome fémoro-patellaire
Le syndrome fémoro-patellaire ou « genou du coureur » se caractérise par une douleur située à l’avant du genou. Le genou peut émettre des craquements lorsqu’il est mobilisé, notamment dans les mouvements de flexion.
Entendre des bruits articulaires après une intervention chirurgicale, est-ce normal ?
Il est par ailleurs courant de percevoir des bruits après une intervention chirurgicale au niveau d’une articulation. Ces bruits préexistaient parfois à l’opération, mais passaient inaperçus parce que l’attention était moins focalisée sur la région concernée.
Les bruits postopératoires sont associés à une limitation de la fonction articulaire
Des spécialistes en orthopédie ont étudié les suites opératoires d’un peu plus de 2000 patients opérés du genou. Ils ont constaté que 27% d’entre eux évoquaient la présence de crépitations, même après avoir totalement récupéré de l’intervention. Elles se manifestent plus volontiers chez les patients les plus jeunes et de sexe masculin et sont plus fréquentes après un remplacement total de l’articulation que partiel.

Les personnes qui perçoivent ces bruits articulaires postopératoires sont plus souvent affectées par des symptômes résiduels : difficultés pour s’asseoir et se relever, boiterie, gonflement, raideurs…
Des bruits qui peuvent traduire la présence d’une athrofibrose
Ces bruits postopératoires disparaissent généralement spontanément. Ils peuvent cependant traduire la formation de tissu cicatriciel, un phénomène nommé arthrofibrose qui limite l’amplitude des mouvements et génère des douleurs.
Ce tissu doit parfois être retiré au cours d’une nouvelle intervention chirurgicale. L’athrofibrose est dans certains cas consécutive à une blessure ou à une infection.
Bruits articulaires : quand faut-il réagir ?
Il n’est pas toujours facile de déterminer si un bruit articulaire est physiologique ou s’il témoigne d’une pathologie sous-jacente. Des indices peuvent cependant nous mettre sur la voie.
Depuis quand le bruit se manifeste-t-il ?
Si on se rappelle avoir entendu ces bruits aussi loin qu’on se souvienne, cela plaide en faveur d’un bruit physiologique, qui est par nature sporadique.
Les bruits pathologiques selon leur origine surviennent soit brutalement en cas de lésion au niveau d’un ligament ou du ménisque par exemple, ou plus graduellement en cas de dégénérescence du cartilage ou de syndrome fémoro-patellaire.
Les bruits articulaires sont-ils associés à d’autres signes ?
La présence d’autres symptômes associés aux bruits articulaires est bien sûr le principal indicateur de sévérité. En présence de douleurs et/ou de gonflement de l’articulation, il est indispensable de prendre un avis médical.
Le bruit pathologique est souvent retrouvé à l’examen clinique alors que le bruit physiologique l’est plus difficilement en raison de son intermittence.