Faut-il éviter la glutamine en cas de cancer ?

Modifié le 22 décembre 2023

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Les cellules cancéreuses sont friandes de glutamine

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La glutamine est un nutriment apprécié des cellules cancéreuses, qui en sont parfois fortement dépendantes pour assurer leur développement. Les en priver pourrait ainsi constituer une piste thérapeutique pour contrarier leur développement et combattre la maladie. Si l’approche est intéressante, elle se heurte à plusieurs écueils.

Les nombreux rôles de la glutamine pour l’organisme

La glutamine est le plus abondant des acides aminés
La glutamine est le plus abondant des acides aminés

La glutamine est le plus abondant des acides aminés circulant dans notre corps. Élément constitutif des protéines, elle est présente en bonne quantité dans les aliments d’origine animale.

Une production interne à notre organisme vient compléter les apports alimentaires, c’est pourquoi la glutamine n’est pas considérée comme un acide aminé essentiel.

La glutamine est impliquée dans la production d’énergie au sein des cellules

La glutamine joue un rôle prépondérant aux seins de nos cellules. Après avoir pénétré dans la cellule au moyen d’un transporteur spécifique présent au niveau de sa membrane, la glutamine est transformée en glutamate par une enzyme appelée glutaminase. Le glutamate subit à son tour une transformation pour donner naissance à de l’alpha-kétoglutarate qui permet de produire de l’ATP, le carburant énergétique des cellules. 

La glutamine contribue à la fabrication des macromolécules de notre organisme

Le glutathion est un puissant antioxydant, produit à partir de la glutamine
Le glutathion est un antioxydant produit à partir de la glutamine

La glutamine et ses dérivés sont impliqués dans la production de certains acides aminés qui composent les protéines, des nucléotides qui permettent de former l’ADN et des acides gras utilisés pour la production des lipides.

Elle intervient également dans la synthèse du glutathion, un composé antioxydant protecteur contre les dommages générés par le stress oxydatif.

L’addiction des cellules cancéreuses pour la glutamine

La glutamine est donc une ressource importante pour les cellules composant les tissus de notre organisme. Certaines en sont particulièrement friandes, en particulier les cellules cancéreuses qui utilisent la glutamine pour soutenir leur multiplication effrénée. Le taux de consommation de cet acide aminé est 5 à 10 fois plus élevé chez ces dernières que chez les cellules saines.

Priver des cellules de neuroblastomes (un cancer des cellules nerveuses se développant en dehors du cerveau) cultivées en laboratoire de glutamine pendant 48 h entraîne leur mort. Ce besoin vital des cellules cancéreuses pour la glutamine est qualifié d’addiction à la glutamine.

Les oncogènes régulent le métabolisme de la glutamine

L’addiction à la glutamine est gouvernée par les oncogènes, des gènes qui favorisent le développement du cancer. L’oncogène c-MYC, à l’œuvre au cours de nombreux processus tumoraux, en est en partie responsable. Il promeut la production des transporteurs de la glutamine qui facilitent son entrée massive dans les cellules cancéreuses.

Mais son action ne se limite pas à l’augmentation de l’approvisionnement, puisqu’il stimule aussi la fabrication des enzymes qui permettent aux cellules d’utiliser ce composé, notamment la glutaminase. De nombreux oncogènes ont, à l’image de c-MYC, un impact sur le métabolisme de la glutamine.

Les oncogènes, comme c-MYC, donnent naissance à des protéines qui influencent la reproduction cellulaire
Les oncogènes, comme c-MYC, donnent naissance à des protéines qui influencent la reproduction cellulaire

Les cellules cancéreuses accro à la glutamine sont plus agressives

Si la glutamine soutient la croissance de la tumeur cancéreuse, elle est également impliquée dans sa capacité à se répandre dans l’organisme. Des chercheurs ont par exemple montré que les formes invasives de cancer de l’ovaire présentent cette dépendance à la glutamine, contrairement aux formes non invasives. La dépendance des cellules à la glutamine représente ainsi un facteur d’agressivité de la maladie.

Les cellules cancéreuses sont prêtes à tout pour obtenir de la glutamine

Le glutamate peut être transformé en glutamine par la glutamine synthétase
Le glutamate peut être transformé en glutamine par la glutamine synthétase

Outre leur capacité à prélever de façon accrue la glutamine circulant dans le sang, les cellules cancéreuses disposent de moyens alternatifs pour combler leurs besoins et augmenter le stock disponible.

Elles peuvent transformer le glutamate en glutamine grâce à une enzyme, la glutamine synthétase. Les cellules cancéreuses de gliome, un type de cancer du cerveau, sont par exemple dotées de cette capacité. Même privées d’apports externes en glutamine, elles sont en mesure de proliférer grâce à ce mécanisme.

Voler la glutamine de ses voisines pour survivre

Les cellules cancéreuses peuvent également engloutir des protéines présentes dans le milieu extérieur pour en extraire la glutamine. Elles font parfois de même avec les cellules entières avoisinantes, vivantes ou en état de mort cellulaire.

La dépendance à la glutamine est-elle le talon d’Achille des cellules cancéreuses ?

L’addiction des cellules cancéreuses vis-à-vis de la glutamine pourrait se retourner contre elles si l’on parvenait à contrecarrer son utilisation.

Faut-il chercher à limiter les apports alimentaires en glutamine ?

L’option la plus directe pour affamer les cellules cancéreuses serait de limiter les apports externes en glutamine, dans l’espoir de mieux contrôler l’évolution de la maladie. Mais cette stratégie apparaît compliquée et peu réaliste, compte tenu des nombreuses sources alimentaires de cet acide aminé et aux stratégies alternatives dont disposent les cellules cancéreuses pour l’obtenir.

Les sources alimentaires de glutamine sont nombreuses et variées
Les sources alimentaires de glutamine sont nombreuses et variées

Des analogues à la glutamines, efficaces mais toxiques

L'acivicine fait partie des analogues de la glutamine
L’acivicine fait partie des analogues de la glutamine

Il y a plusieurs décennies, des substances mimant la structure de la glutamine ont été mises au point comme l’acivicine, l’azasérine ou la 6‐diazo‐5‐oxo‐L‐norleucine. Ces analogues, en contrariant plusieurs étapes de l’utilisation de la glutamine au sein des cellules, ont fait les preuves de leurs propriétés anti-cancéreuses.

Elles se sont cependant révélées fortement toxiques pour l’organisme, ce qui a justifié leur abandon.

Bloquer les enzymes gouvernant le métabolisme de la glutamine

Les recherches n’ont pas été stoppées pour autant et de nombreux travaux sont toujours menés dans le but de priver les cellules cancéreuses de glutamine. Ils visent à cibler spécifiquement le métabolisme de la glutamine au sein des cellules cancéreuses, et bon nombre de ces travaux sont focalisés sur l’enzyme glutaminase, sécrétée plus intensément dans les cellules malades que dans les cellules saines. Un inhibiteur de cette enzyme, appelé CB-89, a donné des résultats encourageants lors d’un essai clinique de phase I testé auprès d’un petit nombre de patients.

Un composé naturel, l’EGCG issu du thé vert, est lui aussi prometteur. Il s’oppose à l’action de la glutamate déshydrogénase qui permet de convertir le glutamate en α-kétoglutarate, provoquant la mort des cellules cancéreuses.

Le thé vert contient de l’EGCC qui perturbe le métabolisme de la glutamine dans les cellules cancéreuses
Le thé vert contient de l’EGCC qui perturbe le métabolisme de la glutamine dans les cellules cancéreuses

La glutamine est aussi importante pour les cellules saines

Les cellules cancéreuses ne pas les seules à avoir besoin de glutamine. Elle est essentielle aux cellules saines, tout particulièrement quand l’organisme est soumis à la rude épreuve que représente le cancer.

La glutamine est un acide aminé indispensable pour l’immunité

Les cellules immunitaires sont d’importantes consommatrices de glutamine. Cette dernière contribue à la multiplication des lymphocytes et promeut la production de messagers chimiques, les cytokines, par ces cellules et par les macrophages (un autre type de globules blancs).

Elle stimule par ailleurs la capacité de ces derniers à effectuer la phagocytose, le mécanisme grâce auquel ils absorbent les cellules à éliminer.

La glutamine contribue à la santé intestinale

La glutamine sert de nutriment aux entérocytes, des cellules présentes au niveau de la paroi de l’intestin. Elle contribue au maintien de l’intégrité de la barrière intestinale, qui empêche des substances indésirables de se répandre dans l’organisme.

Une aide pour améliorer la condition des personnes atteintes de cancer

La supplémentation en glutamine peut apporter un soutien aux malades atteints d’un cancer, car elle atténue les effets indésirables des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie.

La glutamine apaise l’inflammation des muqueuses suite à la radiothérapie ou à la chimiothérapie

L’effet protecteur de la glutamine contre la survenue de mucosite orale, une situation caractérisée par l’apparition de douloureux ulcères buccaux, a par exemple été mis en évidence chez des enfants souffrant de leucémie aiguë lymphoblastique recevant une chimiothérapie à base de méthotrexate. Cet effet indésirable ne s’est manifesté que chez 4,2% des enfants ayant reçu la glutamine, alors qu’il a concerné 62,5% du groupe placebo. Ces jeunes patients ont ainsi été hospitalisés moins longtemps (8 jours contre 12).

Des chercheurs américains ont réalisé une analyse de la littérature sur la capacité de la glutamine à lutter contre la mucosite chez des adultes traités par chimiothérapie ou radiothérapie. Parmi les 15 études examinées, 11 ont montré l’efficacité de la supplémentation. Elle a permis de réduire la fréquence de survenue de cet effet indésirable, son intensité et retardé son apparition. La dose la plus communément administrée est 30g par jour, répartie en trois prises.

La radiothérapie et la chimiothérapie occasionnent des mucosites, que la glutamine est en mesure d'atténuer
La radiothérapie et la chimiothérapie occasionnent des mucosites, que la glutamine est en mesure d’atténuer

Protection contre la diarrhée provoquée par la chimiothérapie

Les bienfaits de la glutamine sur la muqueuse intestinale lui confèrent un effet protecteur contre la toxicité digestive des traitements du cancer.

Un essai clinique a été mené auprès de 70 personnes atteintes d’un cancer colorectal, recevant un traitement de chimiothérapie agressif pour l’intestin (du 5-fluorouracil couplé à de l’acide folinique). Une partie du groupe a reçu 18g par jour de glutamine 5 jours avant la chimiothérapie puis pendant 15 jours. La supplémentation a permis de limiter l’augmentation de la perméabilité intestinale provoquée par le traitement, la diarrhée associée et le besoin en médicament antidiarrhéique.

Une analyse des résultats de 8 essais cliniques a validé ces bénéfices, précisant que la glutamine est en mesure d’écourter la durée des épisodes de diarrhée consécutifs à la chimiothérapie. Elle n’a en revanche pas d’effet sur leur sévérité.

La glutamine atténue les atteintes nerveuses provoquées par la chimiothérapie

L'oxaliplatine est une molécule utilisée en chimiothérapie, dont la neurotoxicité est modulée par la glutamine
L’oxaliplatine est une molécule dont la neurotoxicité est modulée par la glutamine

Les traitements de chimiothérapie peuvent par ailleurs entraîner une altération des nerfs périphériques à l’origine de douleurs, de faiblesse musculaire au niveau des jambes ou de problèmes de sensibilité. La vincristine est souvent à l’origine de ces manifestations. L’administration de glutamine chez des enfants traités avec ce médicament permet de limiter l’impact de cet effet indésirable et améliore la qualité de vie.

Elle exerce également un effet protecteur similaire chez l’adulte contre la neurotoxicité d’un autre médicament de chimiothérapie, l’oxaliplatine.

La glutamine limite les atteintes nerveuses liées au traitement à la vincristine
La glutamine limite les atteintes nerveuses liées au traitement à la vincristine

Faut-il éviter la glutamine quand on souffre d’un cancer ?

Le rôle de la glutamine en cas de cancer apparaît ambivalent. Si elle sert de carburant aux cellules cancéreuses pour faciliter leur croissance, elle est néanmoins indispensable aux tissus sains et à l’intégrité de l’organisme.

Il est de plus illusoire de parvenir à limiter l’approvisionnement d’une tumeur en glutamine en réduisant ses apports alimentaires en cet acide aminé. En effet, les cellules cancéreuses sont en mesure de puiser dans des sources endogènes et de tirer profit de réserves énergétiques alternatives, provenant des glucides ou des lipides.

Les bénéfices de forts apports en glutamine par l’intermédiaire d’une supplémentation sont de plus  démontrés pour contrer certains effets indésirables des traitements de chimiothérapie et de  radiothérapie. Son rôle dans la préservation de l’immunité est enfin un atout crucial pour les malades.


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