Pourquoi donne-t-on toujours de la vitamine B9 aux femmes enceintes ?

Modifié le 19 décembre 2023

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La vitamine B9 est essentielle pour le bon déroulement de la grossesse

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Nutriment clef du début de la grossesse, la vitamine B9 est cruciale pour éviter la survenue de malformations sévères chez le bébé à naître. Quel est le rôle de cette vitamine et comment disposer d’un statut optimal lorsqu’on désire devenir mère ?

Le rôle fondamental de la vitamine B9 pendant la grossesse

L'acide folique est une forme synthétique de la vitamine B9, très souvent rencontrée dans les compléments alimentaires
L’acide folique est une forme synthétique de la vitamine B9

La vitamine B9, également appelée folates, est une vitamine hydrosoluble naturellement présente dans certains aliments. L’acide folique correspond à la forme synthétique de la vitamine B9 rencontrée dans la plupart des suppléments alimentaires ou dans les aliments enrichis.

Notre organisme n’est pas en mesure de produire cette vitamine, et nous sommes donc dépendants de nos apports alimentaires pour en disposer.

Une carence en vitamine B9 se traduit par une anémie, un état de grande fatigue où le sang manque de globules rouges.

Si un déficit en folates a des répercussions négatives sur la santé de chacun, elle pose des problèmes spécifiques dans le cadre de la grossesse.

La vitamine B9 est au cœur des processus de division cellulaire

Les folates assurent la fonction de co-enzyme, c’est-à-dire qu’ils assistent le fonctionnement des enzymes, ces composés qui déclenchent et accélèrent les réactions chimiques au sein de l’organisme. Ils interviennent plus spécifiquement dans les phénomènes de méthylation. Ce type de réaction correspond au greffage d’un groupement chimique méthyle (CH3) sur différents constituants biologiques.

Les folates sont indispensables à la fabrication des supports de l’information génétique présents au cœur de chacune de nos cellules, l’ADN et l’ARN, ainsi que de certains acides aminés, les constituants des protéines. Ils sont ainsi impliqués dans les phénomènes de division des cellules. Lors de la grossesse, ils sont particulièrement actifs pour assurer la croissance rapide du placenta et du fœtus. Une carence en vitamine B9 durant cette période peut avoir des conséquences irréversibles chez le bébé à naître.

La vitamine B9 est impliquée dans les phénomènes de division cellulaire
La vitamine B9 est impliquée dans les phénomènes de division cellulaire

La vitamine B9 pour la prévention des malformations congénitales

Les problèmes les plus redoutés sont les anomalies de fermeture du tube neural (AFTN). Cette structure, à l’origine du cerveau et de la moelle épinière du fœtus, se referme tôt dans la grossesse, entre le 22ème et le 28ème jour après la conception.

Si ce phénomène est incomplet, des malformations surviennent chez le bébé. Les plus fréquentes sont la spina bifida, qui affecte la colonne vertébrale, et l’anencéphalie, où une partie du cerveau et de la boîte crânienne sont absents. La première est source de handicaps potentiellement lourds avec une paralysie plus ou moins sévère, tandis que la seconde ne permet pas la survie au-delà de quelques heures ou jours tout au plus après la naissance.

En France, les AFTN concernent environ une grossesse sur 1000. Dans 95% des cas, elles surviennent chez des femmes n’ayant aucun antécédent et sont donc particulièrement imprévisibles.

Si certaines prédispositions génétiques existent, la responsabilité de la carence en folates dans leur survenue est identifiée depuis les années 1960. Une analyse de 5 études ayant rassemblé les données relatives à 6708 naissances a mis en évidence l’effet protecteur de la supplémentation en folates durant la période qui entoure la conception : elle diminue le risque d’AFTN de 69%.

Les apports en folates pourraient en outre réduire le risque d’autres malformations congénitales, affectant le cœur ou la bouche (fente labiale avec ou sans fente du palais).

Un bon statut en folates favorise-t-il le bon déroulement de la grossesse ?

Certaines études d’observation ont par ailleurs mis en évidence un lien entre de bas niveaux de folates dans l’organisme maternel et un risque accru de naissance prématurée, de décollement du placenta, de retard de croissance intra-utérin et de pré-éclampsie (une hypertension survenant au cours de la grossesse).

De bas niveaux de folates sont liés à une augmentation du risque de naissance prématurée
De bas niveaux de folates sont liés à une augmentation du risque de naissance prématurée

L’efficacité de la supplémentation n’a cependant pas été confirmée pour chacune de ces situations. Elle pourrait réduire le risque de pré-éclampsie et de mise au monde d’un bébé de faible poids par rapport à son âge gestationnel.

Les carences en vitamine B9 chez les femmes sont en augmentation

L’étude Esteban conduite entre 2014 et 2016, qui a évalué certains aspects de la santé des Français avec un volet consacré à l’alimentation, a permis de quantifier le niveau de carence en vitamine B9 dans la population. Dans la tranche d’âge des femmes en âge de procréer (18 à 49 ans), 13,4% présentaient un statut non optimal, défini par un seuil sanguin inférieur à 3ng/mL.

La situation s’est aggravée depuis les dernières évaluations, qui dataient de 2006-2007, où seulement  7,2%  des femmes de cette tranche d’âge présentaient un déficit nutritionnel en vitamine B9.

Au-delà d’un manque d’apports lié à une alimentation pauvre en aliments contenant des folates, d’autres raisons expliquent ces carences. Certaines maladies digestives comme la maladie cœliaque ou la maladie de Crohn, dans une moindre mesure, contrarient l’assimilation de ces nutriments.

Il en va de même avec la consommation d’alcool et la prise de certains médicaments (antiépileptiques, sulfamides, méthotrexate…). Les contraceptifs oraux favorisent également les carences en folates.

Faire le plein de folates dans la période qui entoure la conception d’un bébé

Face aux conséquences tragiques d’une carence en folates sur le développement du fœtus, il est crucial de veiller à avoir de bons apports en ce nutriment. Les autorités de santé sont unanimes sur la nécessité de recourir à la supplémentation.

Quelle est la dose idéale de folates pendant la grossesse ?

Chez la femme, les besoins en folates passent de 400 µg hors grossesse et allaitement à 600µg dans la période qui entoure la conception de l’enfant.

L’OMS recommande ainsi une supplémentation en folates de 400 µg par jour, couplée à une alimentation riche en folates pour satisfaire ces besoins.

En plus d'une alimentation riche en folates, la supplémentation permet d'éviter tout risque de carence lors de la grossesse
En plus d’une alimentation riche en folates, la supplémentation permet d’éviter tout risque de carence lors de la grossesse

Une supplémentation à envisager dès le désir d’enfant

La supplémentation devrait débuter 4 semaines avant la conception et se prolonger 8 semaines après celle-ci. Mais cette théorie n’est pas simple à appliquer : toutes les grossesses ne sont pas planifiées, et la période entre le désir d’enfant et la concrétisation du projet est parfois longue, ce qui implique une supplémentation prolongée.

Selon les résultats de l’enquête nationale périnatale menée en 2016, seulement 23,2% des futures mamans ont été supplémentées en folates avant la conception de leur bébé.

Des doses plus élevées pour les grossesses à risque

Dans le cadre des grossesses à haut risque de défaut de fermeture du tube neural, des doses plus importantes sont recommandées. Sont concernées les femmes ayant eu un antécédent de grossesse avec malformation congénitale, celles souffrant de diabète ou sous certains traitements médicamenteux. La dose atteint alors 4 à 5mg par jour et la supplémentation doit débuter 3 mois avant la conception.

Cependant, certains spécialistes s’interrogent sur le bien-fondé de cette approche. Cette recommandation, basée sur les résultats d’un essai clinique ancien, est remise en question par des études plus récentes qui indiquent que cette forte dose ne serait pas plus efficace que l’administration de 400 à 800 µg par jour pour prévenir ce risque.

Vitamine B9 et projet de parentalité : qu’en est-il des hommes ?

Une étude menée chez la souris a mis en évidence les bénéfices d’une supplémentation en folates chez les mâles pour préserver leur descendance de malformations congénitales. En l’absence de données chez l’Homme, aucune recommandation n’est adressée au partenaire masculin en cas de désir d’enfant.

Quelle forme de suppléments de vitamine B9 privilégier ?

Le 5-méthyltétrahydrofolate est un vitamère particulièrement intéressant de la vitamine B9
Le 5-méthyltétrahydrofolate est un vitamère particulièrement intéressant de la vitamine B9

La plupart des compléments alimentaires de vitamine B9 contiennent de l’acide folique. Certaines données conduisent à douter de leur innocuité, et il est donc préférable de privilégier les compléments alimentaires élaborés à partir d’une forme naturelle de la vitamine.

Le 5-méthyltétrahydrofolate est notamment un vitamère très bien absorbé de la vitamine B9, adapté lors la grossesse et par la suite au cours de la phase d’allaitement.

L’enrichissement systématique des produits céréaliers en acide folique, une option non retenue en France

Dans certains pays, il est difficile d’échapper à l’acide folique : les farines et produits céréaliers à base de blé (pain, pâtes…) et parfois de maïs en sont enrichis. Les États-Unis et le Canada ont engagé cette démarche en 1998 et près de 80 pays sont concernés à ce jour.

Cette approche a été retenue face à la difficulté de supplémenter spécifiquement les femmes en âge de procréer au moment où elles souhaitent devenir mères.

Elle conduit à une baisse de l’ordre de 10 à 35% des AFTN dans les pays où elle est mise en place, par rapport aux pays où seules des recommandations sont adressées aux femmes qui ont un désir de maternité.

Ne pas laisser le choix au consommateur d’opter pour des aliments dépourvus d’acide folique reste cependant fortement discutable, surtout dans un contexte où les risques potentiels d’une exposition à long terme sur la santé ne sont pas totalement écartés.

La France n’a pas pris cette orientation, mais certains produits industriels contiennent tout de même de l’acide folique, notamment les céréales du petit-déjeuner. 

Quelles sont les meilleures sources alimentaires naturelles de folates ?

Les folates sont naturellement présents dans de nombreux aliments. Les meilleures sources végétales sont les légumes verts (épinards, brocolis, mâche…), les légumineuses, les graines oléagineuses (noix, noisettes…) et les agrumes. Côté produits animaux, les abats comme le foie en possèdent une forte teneur et les œufs en contiennent également, mais en moindre quantité. 

La façon de cuisiner les légumes a un impact direct sur les teneurs en vitamine B9, qui se dissout dans l’eau de cuisson. Une cuisson à l’eau ne permet de retenir que 49% des folates des épinards et 44% du brocoli par exemple, là où la cuisson vapeur n’entraîne pas de perte. Cette vitamine est également sensible à la lumière et à l’air.

Les légumes verts, les légumineuses, les oléagineux et les abats sont riches en vitamine B9
Les légumes verts, les légumineuses, les oléagineux et les abats sont riches en vitamine B9

La supplémentation en acide folique lors de la grossesse augmente-t-elle le risque d’allergies chez l’enfant ?

La supplémentation en vitamine B9 avant le début de la grossesse et dans ses premiers stades est incontournable pour préserver son bébé du risque de malformations graves. La poursuivre tout au long de la grossesse pourrait cependant être associée à un risque accru d’affections respiratoires et d’allergies chez l’enfant, bien que ce lien ne soit pas à ce jour formellement établi.

La vitamine B9 modifie la manière dont certains gènes s’expriment, en greffant des groupements chimiques méthyle sur la molécule d’ADN (on parle de modifications épigéniques) et pourrait ainsi favoriser ces maladies.

Une étude a mis en évidence un risque accru d’infections respiratoires basses dans les 18 premiers mois de vie des enfants nés de mères supplémentées. Une autre étude a suggéré une augmentation de la fréquence de l’asthme, tout particulièrement quand la complémentation se poursuit à un stade avancé de la grossesse. Les enfants exposés in utero à des doses de plus de 5µg par jour d’acide folique via la supplémentation de leur mère sont aussi plus sujets à l’eczéma que ceux exposés à moins de 2µg. Ces données sont cependant à relativiser, car certaines études ont conclu à l’absence de lien entre la supplémentation au cours de la grossesse et la survenue de ces maladies chez l’enfant. Elles invitent simplement à se conformer aux recommandations de limiter la supplémentation aux 12 premières semaines de grossesse.

Par ailleurs, les problèmes constatés lors de ces études sont tous spécifiquement liés à la complémentation en acide folique. Le métabolisme des formes naturelles de folates est différent, et il est donc impossible de transposer le risque observé avec l’acide folique à toutes les autres formes de vitamine B9.


Références

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