Comment les jonctions serrées intestinales influencent la santé
Assurer l’absorption des nutriments issus de la digestion des aliments tout en interdisant le passage des substances indésirables, telle est la fonction principale de notre intestin. Sa paroi exerce ainsi le rôle de barrière sélective, notamment grâce à ses jonctions serrées qui jointent les cellules qui la composent.
Les jonctions serrées, éléments clés de l’intestin
L’assimilation des nutriments a lieu au niveau de l’intestin grêle : ils gagnent la circulation sanguine pour être acheminés vers nos organes et assurer leur fonctionnement.
La paroi de l’intestin est donc une surface d’échange entre le contenu du tube digestif et l’intérieur de notre organisme. Pour remplir son rôle de façon optimale, cette paroi présente de nombreux replis qui comportent des villosités, elles-même dotés de microvillosités. Cette structure plissée augmente considérablement sa surface. Dépliée, elle recouvrirait environ 250 m².
Structure de la paroi intestinale
La paroi intestinale est composée d’une couche unique de cellules épithéliales, qui se déclinent en différents types :
- les plus nombreuses sont les entérocytes, qui représentent plus de 8 cellules sur 10
- les cellules de Paneth sont situées au fond des cryptes, des creux présents entre deux villosités, et produisent des substances antimicrobiennes
- les cellules caliciformes sont responsables de la sécrétion du mucus qui recouvre la paroi de l’intestin grêle
- les cellules entéro-endocrines sont localisées au niveau des villosités et produisent notamment des hormones
Entre ces cellules épithéliales, sont présentes des jonctions serrées, aussi appelées zonula occludens, qui assurent le rôle de barrière physique sélective.
Zoom sur les jonctions serrées
Les jonctions serrées sont constituées de quatre types de protéines, qui forment de longues chaînes traversant les membranes des cellules voisines. Elles forment ainsi un maillage plus ou moins resserré, qui autorise ou non le passage des diverses substances. Il s’agit :
- de l’occludine ;
- des claudines ;
- de la protéine JAM ;
- de la tricelluline.
Ces protéines sont associées à d’autres protéines situées à l’intérieur de chaque cellules (les protéines ZO-1, ZO-2 et ZO-3), qui les connectent directement au « squelette » des cellules (appelé cytosquelette : un réseau de filaments qui confère une architecture à la cellule). Une quarantaine de protéines formant les jonctions serrées a été identifiée à ce jour.
Le rôle des jonctions serrées
Au sein de l’intestin grêle, la fonction des jonctions serrées est délicate : elles doivent laisser passer de façon sélective les ions, les nutriments et l’eau, tout en barrant le passage aux substances indésirables, comme les microbes par exemple. Ce rôle est piloté par une protéine produite par le système digestif : la zonuline.
Le syndrome de l’intestin perméable
Les jonctions serrées sont indispensables au bon fonctionnement de l’intestin. Lorsqu’elles ne remplissent pas leur fonction efficacement, des substances présentes dans l’intestin – des bactéries, des produits bactériens comme les endotoxines produites par les bactéries à gram négatif, des allergènes … – peuvent atteindre la circulation sanguine et se propager dans l’organisme. Leur présence génère alors des réactions inflammatoires et peut provoquer des dommages au niveau de différents organes.

Quand la perméabilité intestinale déclenche des maladies
Une perméabilité excessive de la paroi intestinale pourrait ainsi contribuer à l’émergence de maladies très diverses, d’origine allergique, inflammatoire ou auto-immune. Une altération de la perméabilité de l’intestin a été mise en évidence dans le cas de maladies digestives comme les maladies inflammatoires de l’intestin (maladie de Crohn et rectocolite hémorragique), la maladie cœliaque (intolérance au gluten), le syndrome de l’intestin irritable ou l’entérocolite nécrosante.
Plus étonnant : on constate également une hyperperméabilité de l’intestin dans les cas d’affections extra-digestives telle que la sclérose en plaque, l’arthrite rhumatoïde, le diabète de type 1, l’asthme, les troubles du spectre de l’autisme, et encore bien d’autres maladies.
L’augmentation de la perméabilité intestinale ne suffit pas à elle seule à déclencher une maladie, mais constitue un important facteur de risque qui s’ajoute à des prédispositions génétiques et à certains facteurs environnementaux.
Les causes de l’altération des jonctions serrées
Certaines de nos habitudes de vie peuvent altérer le fonctionnement des jonctions serrées et mettre à mal l’intégrité de la barrière intestinale.
Les habitudes alimentaires influencent la perméabilité intestinale
Le régime alimentaire occidental a tendance à être pauvre en fibres, qui servent de nourriture à certaines bactéries alliées de notre microbiote intestinal pour produire des composés bénéfiques pour notre santé, les acides gras à chaîne courte. Parmi ceux-ci, le butyrate agit favorablement sur la barrière intestinale en favorisant l’assemblage des jonctions serrées et en atténuant les phénomènes inflammatoires au niveau de l’intestin.
Une alimentation riche en graisses saturées conduit également à un déséquilibre du microbiote, appauvrissant les populations de Lactobacillus et augmentant celles d’Oscillibacter. Ces changements de l’équilibre bactérien sont associés à une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Plus les populations d’Oscillospira sont abondantes et moins le gène permettant la fabrication de la protéine ZO-1 est actif.
Les aliments industriels contiennent par ailleurs de nombreux additifs comme le glucose, le sel, les émulsifiants, les solvants organiques, le gluten, la transglutaminase microbienne (une enzyme utilisée pour améliorer la texture et la conservation des aliments) ou encore des nanoparticules, qui altèrent le fonctionnement des jonctions serrées et augmentent la perméabilité de l’intestin.
Enfin, les glycoalcaloïdes présents dans les pommes de terre augmentent la perméabilité intestinale et certains spécialistes considèrent que leur consommation élevée dans les pays occidentaux expliquerait en partie la fréquence des maladies inflammatoires de l’intestin.

La consommation d’alcool
La consommation d’alcool favorise le développement des bactéries à gram négatif et conduit à une accumulation d’endotoxines dans l’intestin. Sous l’action de ces bactéries,au niveau des cellules épithéliales, l’éthanol est transformé en acétaldéhyde. Ce composé augmente la perméabilité intestinale, notamment en modifiant la répartition spatiale de l’occludine et de ZO-1 au sein des jonctions serrées. Les endotoxines ont alors tout loisirs de se propager dans l’organisme et de générer des phénomènes inflammatoire, notamment au niveau du foie.
Le stress et certains médicaments altèrent les jonctions serrées
La prise de certains médicaments peut altérer la fonction des jonctions serrées, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens. L’aspirine réduit par exemple la production de la protéine claudine-7. L’exposition a un stress chronique à les mêmes effets, affectant cette fois-ci les niveaux de claudine-1.
Comment renforcer la fonction des jonctions serrées ?
Certains composés naturels peuvent contribuer à renforcer la barrière intestinale.
La glutamine et la glycine : deux acides aminés bénéfiques pour les jonctions serrées
La L-glutamine est un acide aminé présent en grande quantité dans l’organisme, et qui joue un rôle important pour la santé intestinale. Son déficit provoque en effet une diminution de la production des protéines des jonctions serrées.
Des études ont été menées pour évaluer son efficacité chez des patients dans un état critique, dont la perméabilité intestinale est généralement augmentée. Des chercheurs iraniens ont par exemple montré que l’administration de glutamine dans ce cadre permet d’atténuer la quantité d’endotoxines présentes dans le sang des patients. Des améliorations similaires ont également été mises en évidence chez les sportifs.
L’administration de 5 grammes de L-glutamine pendant 8 semaines permet par ailleurs d’atténuer les symptômes liés à une hyper-perméabilité intestinale chez des patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable avec diarrhée, consécutif à un épisode infectieux.
Un autre acide aminé, la glycine, pourrait également être bénéfique. L’application de peptides de collagène, qui en sont riches, améliore la fonction des jonctions serrées. Lorsqu’on envisage une supplémentation, il est préférable de privilégier directement la glycine.
Le zinc est prometteur sous forme de compléments
Du côté des minéraux, le zinc améliore la fonction de la barrière intestinale en favorisant notamment la production de la protéine ZO-1.
Des chercheurs italiens ont démontré son efficacité chez des animaux souffrant de colite (une inflammation de la muqueuse du côlon), avant de la tester chez l’homme auprès de 12 personnes souffrant de la maladie de Crohn. Les participants étaient en rémission depuis au moins 3 mois, mais avaient présenté une augmentation de la perméabilité intestinale deux fois au cours des deux mois précédents. Ils ont reçu une supplémentation en sulfate de zinc par voie orale, à la dose de 110 mg trois fois par jour pendant 8 semaines, puis ont été suivis pendant 12 mois. Pendant cette période, 10 participants ont présenté une perméabilité intestinale normale. Elle s’est élevée chez deux d’entre eux, et l’un d’eux a connu une rechute. Ces résultats tendent à montrer un intérêt de la supplémentation en zinc, qui devra toutefois être confirmée dans une étude avec groupe de contrôle et placebo.
Les principes actifs végétaux
Des études en laboratoire ont montré les effets favorables de la quercétine, un pigment végétal, sur la barrière intestinale. Elle améliore l’assemblage de certains de ces constituants (ZO-2, occludine, claudine-1) et augmente la production de claudine-4.
L’administration de quercétine, ainsi que d’autres polyphénols (curcumine, naringénine ou hespérétine), chez des souris atteintes de colite permet d’atténuer les symptômes en restaurant l’intégrité de la muqueuse intestinale. Le composé le plus efficace s’est avérée être la naringénine, un flavonoïde présent dans certains agrumes comme le pamplemousse.
Le kaempférol, polyphénol présent par exemple dans le brocoli et le chou kale, est également prometteur puisqu’il stimule l’assemblage de certaines des protéines des jonctions serrées.
La berbérine est un alcaloïde extrait du rhizome de Coptidis, un genre de plantes médicinales utilisées en pharmacopée traditionnelle chinoise. Elle exerce également une action favorable sur les jonctions serrées, mise en évidence au cours d’expérience en tube à essai et chez l’animal.
La génistéine, une isoflavone présente dans le soja, est en mesure de préserver les jonctions serrées exposées à un stress oxydant.

Les vitamines D et A
La vitamine D régule la production de certaines des protéines constituant les jonctions serrées : ZO-1 et 2, claudine 2 et 12 notamment. Elle s’oppose à l’augmentation de la perméabilité intestinale provoquée par la présence de bactéries. Son application sur des tissus intestinaux prélevés sur des patients atteints de rectocolite hémorragique permet de corriger les anomalies des jonctions serrées.
La vitamine A joue également un rôle important. Des animaux privés de vitamine A pendant 4 semaines présentent des anomalies dans la structures des jonctions serrées et des niveaux abaissés de protéines ZO-1, d’occludine et de claudine-1. Chez des souris utilisées comme modèle d’étude d’entérocolite nécrosante, une maladie rare qui touche principalement les bébés prématurés, l’administration de vitamine A renforce la barrière intestinale et protège contre les phénomènes inflammatoires.
Probiotiques, microbiote et jonctions serrées
L’administration de probiotiques peut également renforcer la fonction de la barrière intestinale. Lactobacillus plantarum stimule la production des protéines composant les jonctions serrées. Chez l’animal, l’administration de Lactobacillus GG limite l’augmentation de la perméabilité intestinale provoquée par l’alcool et les dommages au niveau du foie, celle de Bifidobacterium infantis apaise les symptômes de la colite.
Les effets des probiotiques dans ce contexte ont été étudiés en particulier chez les athlètes, la pratique sportive intense entraînant une augmentation de la perméabilité intestinale. Une supplémentation basée sur un mélange de 6 souches (Bifidobacterium bifide W23, Bifidobacterium lactis W51, Enterococcus faecium W54, Lactobacillus acidophilus W22, Lactobacillus brevis W63 et Lactococcus lactis W58) pendant 14 semaines a permis de réduire les niveaux sanguins de zonuline, témoin de la perméabilité intestinale, lui permettant d’atteindre un niveau proche de la norme (<30 ng/ml).
Une autre étude menée chez des sportifs a confirmé cet effet : l’administration d’un mélange de Lactobacillus, Bifidobacterium et Streptococcus pendant 4 semaines a atténué l’hyper-perméabilité intestinale lors d’un exercice sous la chaleur. Enfin, la recherche récente met en évidence les très bons résultats de Bacillus subtilis sur la perméabilité intestinale.
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