La vitamine D modifie l’expression des gènes

Modifié le 11 janvier 2024

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Un médecin pointe du doigt une molécule d'ADN

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La vitamine D remplit de multiples fonctions dans l’organisme. Indispensable à l’équilibre osseux, elle participe également à l’immunité, au fonctionnement musculaire, à la régulation des divisions cellulaires ou encore au contrôle des phénomènes inflammatoires. Une partie de ses actions passent par l’intermédiaire des gènes, l’expression de certains d’entre eux étant sous son contrôle. Elle est ainsi au cœur de nombreuses études de nutrigénomique, une discipline qui scrute la manière dont les nutriments exercent une influence sur notre génome pour contribuer à notre santé.

Influence de la vitamine D sur les gènes

Dans l’organisme, la vitamine D exerce son action par l’intermédiaire de sa forme active, la 1,25-dihydroxyvitamine D3, également appelée calcitriol. Lorsqu’elle a pénétré dans une cellule cible, elle s’associe à un récepteur, le VDR (Vitamin D receptor). Il comporte en effet au niveau de sa surface interne une sorte de poche formée de 40 acides aminés, dans laquelle vient s’enchâsser la vitamine D.

Cette liaison provoque le recrutement d’un nouveau partenaire, le récepteur RXR (retinoïd X receptor). Le duo VDR-RXR gagne alors le noyau de la cellule, où se trouve le patrimoine génétique. Il se lie à certaines régions spécifiques de l’ADN, connues sous le nom d’éléments de réponse à la vitamine D, stimulant ou réprimant l’expression des gènes sous leur contrôle. Le VDR influencerait de manière directe l’activité de plus d’un millier de nos gènes, sur les 20 000 environ qui composent le génome humain.

Complexe protéique

L’effet stimulant ou au contraire inhibiteur de l’expression des gènes dépend des composés avec lesquels le VDR-RXR interagit au niveau du noyau. En effet, plus de cinquante protéines différentes sont en mesure de coopérer avec celui-ci, pour former un complexe protéique constitué d’un grand nombre d’acteurs.

Dans un premier cas de figure, des co-activateurs sont recrutés par le VDR-RXR. Ces composés favorisent l’ouverture de la chromatine, la structure au sein de laquelle l’ADN est compacté. Cette étape est essentielle pour permettre l’expression génique. Il s’agit notamment de p300/CBP et de SRC-1, qui ont pour fonction d’acétyler les histones, les protéines autour desquelles l’ADN s’enroule. Lorsqu’elles subissent cette action, les interactions entre celles-ci et l’ADN s’affaiblissent, ce qui facilite sa décondensation.

D’autres acteurs sont impliqués, comme le complexe de remodelage de la chromatine SWI/SNF et le complexe médiateur, permettant le recrutement et l’activation de l’ARN polymérase II. Cette enzyme clef permet de décoder le message génétique et assure l’expression des gènes.

Dans un second cas, le VDR-RXR s’associe à des complexes co-répresseurs qui vont désacétyler les histones et transférer des groupements chimiques méthyle (CH3) à certaines régions de l’ADN. En conséquence, l’expression des gènes est bloquée.

Schéma représentant l'effet de la nature du complexe protéique associé à la vitamine D sur l'expression des gènes.
La nature du complexe protéique détermine si l’expression des gènes est stimulée ou réprimée par le VDR.

Omniprésence du VDR dans l’organisme

Le récepteur de la vitamine D est très répandu dans l’organisme. Il est en effet présent dans la quasi-totalité des cellules. Les autres mammifères partagent cette caractéristique, et des expériences conduites chez la souris ont pu mettre en évidence les conséquences de son absence.

Ces animaux dépourvus de VDR présentent des anomalies osseuses, une alopécie totale, une sensibilité accrue aux maladies auto-immunes. Ils sont plus susceptibles de développer des tumeurs en cas d’exposition à des composés cancérigènes. Ils présentent également des problèmes cardiovasculaires, alliant hypertension, hypertrophie cardiaque et une tendance à développer des caillots sanguins.

Ainsi, lorsque la vitamine D ne peut exercer ses effets de modulation de l’expression des gènes à travers son récepteur, l’ensemble de l’organisme est affecté.

Les gènes cibles

Les gènes contrôlés par la vitamine D sont très divers. Les premiers identifiés l’ont été sur la base de ses effets physiologiques. Dès 1980, son impact sur l’expression à la hausse du gène permettant la production de l’ostéocalcine a été mis en évidence. Cette protéine est produite par les cellules responsables de la formation des os et facilite la fixation du calcium.

Ses effets sur le gène du peptide antimicrobien cathélicidine (CAMP), un élément clef de défense contre les infections microbiennes, ont ensuite été découverts. Depuis, l’évolution des techniques d’analyse de l’expression des gènes à l’échelle du génome entier a facilité la compréhension de l’action génomique de la vitamine.

Cibles primaires et secondaires

On peut distinguer deux grandes catégories de gènes sous influence de la vitamine D. La première rassemble les gènes cibles primaires, directement régulés par le VDR. Lorsqu’ils sont exposés à la vitamine D, leur réponse est relativement rapide, observée en l’espace de 4 à 8 h. Pour ce type de gènes, la présence de vitamine D conduit à une augmentation ou une diminution de l’activité.

La seconde catégorie est représentée par les gènes cibles secondaires. Ils sont contrôlés par des composés produits par les gènes cibles primaires. Ils mettent ainsi plus de temps à réagir en cas d’exposition à la vitamine, de l’ordre de 24h à 48h. Pour ces cibles secondaires, la vitamine D exerce un rôle stabilisant. En son absence, d’autres composés ont alors le loisir d’exercer leur influence pour moduler leur expression du gène.

Schéma représentant l'effet de la vitamine D sur l’expression des gènes cibles primaires ou secondaires.
Effet de la vitamine D (en rouge) sur l’expression des gènes cibles primaires ou secondaires.

Les gènes cibles secondaires sont plus nombreux que les gènes cibles primaires. Une étude s’est par exemple intéressée à leur répartition dans les globules blancs. Au total, 662 gènes ont répondu à la vitamine D dans ces cellules.

Parmi eux, 179 étaient des cibles directes, 483 des cibles secondaires. Une bonne partie de ces gènes conduisaient à une atténuation de la réponse inflammatoire et de l’action des défenses de l’immunité adaptative (lymphocytes B et T). Cette tendance explique les bienfaits observés de la vitamine D contre les maladies auto-immunes.

Spécificité liée aux tissus

Les gènes ciblés par la vitamine D sont spécifiques aux tissus, comme l’illustrent des travaux ayant compilé l’analyse de la réponse de 94 modèles cellulaires humains et murins différents.

Une partie de l’étude s’est focalisée sur 5 types de cellules : les fibroblastes, les cellules épithéliales, les monocytes, les granulocytes et les globules blancs circulant dans le sang. La plupart des gènes influencés par la vitamine D étaient propres à chaque type cellulaire.

Diagramme représentant le chevauchement partiel des gènes régulés à la hausse par la vitamine D dans 5 types cellulaires.
Chevauchement partiel des gènes régulés à la hausse par la vitamine D dans 5 types de cellules.

Par exemple, pour les fibroblastes, sur les 59 gènes dont l’expression était augmentée sous l’influence de la vitamine D, 41 étaient spécifiques à ces cellules.

Seuls 2 gènes activés par la vitamine étaient communs aux 5 types cellulaires. Il s’agissait du gène CYP24A1, qui permet la fabrication d’une enzyme impliquée dans le métabolisme de la vitamine D, et du gène produisant la calmine, une protéine dont le rôle est encore mal connu.

Statut en vitamine D et expression génique

Les données présentées précédemment sont issues d’expériences conduites en laboratoire. Des études complémentaires ont été menées pour observer en conditions réelles, chez l’être humain, les liens entre la vitamine D et l’expression des gènes.

Expression variable selon le taux de vitamine D

Des chercheurs norvégiens se sont employés à déterminer si le statut en vitamine D exerçait une influence sur la nature des gènes qui s’expriment. La concentration sanguine en vitamine D a été mesurée au sein d’un groupe de 218 femmes. En fonction des résultats obtenus, deux sous-groupes ont été constitués : le premier rassemblant les participantes ayant un taux suffisant de vitamine, supérieur à 50 nmol/L, le second les participantes déficientes, avec un taux inférieur à 37,5nmol/L.

L’équipe a ensuite comparé leurs profils d’expression génique, à l’échelle du génome entier. Des différences claires sont apparues selon le statut en vitamine D. Elles concernaient principalement l’expression de gènes liés au système immunitaire, impliqués notamment dans la production de cytokines par les défenses immunitaires, la signalisation de l’immunité innée et du récepteur des lymphocytes T.

D’autres voies de signalisation (MAPK et VEGF, la mort cellulaire) étaient également activées différemment selon la concentration sanguine en vitamine D. Selon les auteurs de l’étude, ces spécificités pourraient potentiellement influencer le déclenchement de certaines maladies.

Effets de la supplémentation

D’autres travaux se sont penchés sur la manière dont la supplémentation en vitamine D peut influencer concrètement l’activité des gènes.

Dans l’un d’eux, 25 volontaires en bonne santé ont pris une dose de charge de vitamine D de 80 000 UI. Certains protocoles de supplémentation sont en effet basés sur ce type d’approche, mais s’il est préférable de privilégier de plus faibles doses quotidiennes.

L’expression des gènes au sein des globules blancs des participants a été analysée avant cette prise, puis 24 h après pour déterminer si des changements se produisaient. Les analyses ont révélé que l’activité de 442 gènes a été modifiée par la supplémentation. La modulation par la vitamine D a globalement conduit à temporiser certains processus de l’organisme afin d’éviter des réactions trop intenses, au niveau de la réponse inflammatoire notamment.

Les effets d’une supplémentation en vitamine D sur un temps bien plus long, de 3 à 5 ans, ont également été examinés. Lorsque le profil d’expression génique a été comparé entre les participants de cette étude présentant les taux sanguins les plus hauts par rapport aux plus bas, un total de 99 gènes dont l’expression était impactée a pu être identifié. 72 d’entre eux n’avaient jamais été auparavant considérés comme étant sous l’influence de cette vitamine.

Augmentation de la quantité de VDR

Un avantage de la supplémentation réside dans ses effets sur le récepteur de la vitamine D. Selon les données recueillies auprès de 335 personnes atteintes de drépanocytose, un faible taux sanguin de vitamine D conduit à une réduction de la fabrication du VDR dans l’organisme.

La supplémentation peut rétablir ce paramètre, comme l’a montré une étude menée chez 90 jumeaux homozygotes. La prise de 2000UI de vitamine D3 par jour pendant 2 mois a permis d’augmenter l’expression du gène permettant la production du VDR de 60 fois. Cela garantit une quantité optimale de récepteurs dans les tissus, permettant à la vitamine d’exercer ses actions génomiques efficacement.

Une réponse personnalisée

Ce type d’études de supplémentation a révélé que la réaction du patrimoine génétique de chaque individu à la vitamine D varie considérablement. Chez certaines personnes, les changements dans l’activité des gènes sont très marqués, tandis que chez d’autres, ils le sont moins.

Des chercheurs ont ainsi créé un indice de réponse à la vitamine D, qui permet de distinguer des personnes à la réponse élevée, moyenne ou faible.

Schéma récapitulant les bienfaits d’une supplémentation en vitamine D optimisée selon le profil de réponse individuelle.
Bienfaits d’une supplémentation en vitamine D optimisée selon le profil de réponse individuelle.

Tenir compte de cette spécificité permettrait ainsi d’adapter la supplémentation selon le profil de chacun, et d’améliorer l’efficacité clinique de la vitamine, que ce soit pour prévenir l’ostéoporose, la sarcopénie, les maladies auto-immunes et potentiellement certaines formes de cancers. En effet, les faibles répondants ont besoin d’une dose quotidienne de vitamine D plus importante que les autres catégories pour obtenir les mêmes bienfaits.

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