Lactobacillus reuteri est-il efficace contre Helicobacter pylori ?

Modifié le 18 mars 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Lutter contre l’infection provoquée par la bactérie Helicobacter pylori, qui se développe dans l’estomac, représente un véritable défi médical. Les traitements classiques, qui reposent en partie sur l’administration d’antibiotiques, sont parfois tenus en échec et souvent mal tolérés. La supplémentation en biotiques peut améliorer la situation, et Lactobacillus reuteri apparaît être une des espèces les plus prometteuses.

L’estomac, lieu de vie bactérienne

L’estomac a longtemps été considéré comme un organe vierge de toute vie microbienne, en raison de son extrême acidité qui apparaît hostile à la survie. On sait désormais qu’il héberge une large diversité bactérienne chez les personnes en bonne santé, même si leurs populations sont moins denses que dans l’intestin. Ce microbiote gastrique est peuplé de bactéries appartenant aux phylums, des Firmicutes, Actinobactérie, Bacteroidetes, et Protéobactérie, et la présence des genres LactobacillusStreptococcus et Propionibacterium y est commune. Les espèces sont différemment représentées dans le microbiote gastrique et intestinal. Par exemple, les genres Streptococcus et Prevotella occupent une place centrale dans l’estomac, là où leur présence est mineure dans les régions basses du tube digestif.

Schéma représentant la population de bactéries présentes dans l'estomac.

Il y a deux graphiques en camembert l'un représentant les quantités de population en présence d'hélicobacter pylori, l'autre en non présence d'hélicobacter pylori.
La présence de H. pylori provoque des bouleversements dans la composition du microbiote gastrique

Une bactérie problématique

L’équilibre du microbiote gastrique peut être déstabilisé par la présence d’une invitée indésirable, la bactérie Helicobacter pylori. Elle est qualifiée de pathobionte, car il s’agit d’un microbe opportuniste qui peut devenir pathogène dans certaines circonstances. À l’échelle mondiale, on estime qu’elle est présente dans l’estomac d’une personne sur deux, avec un déséquilibre en défaveur des pays en voie de développement. En France, elle contaminerait de 15 à 30% de la population.

Sa présence passe souvent inaperçue, mais elle peut provoquer chez certaines personnes des gastrites aiguës ou chroniques, et peut occasionner des troubles plus sévères comme des ulcères gastro-duodénaux, voire des cancers gastriques.

Les probiotiques en soutien contre H. pylori

Les traitements destinés à éliminer la bactérie H. pylori de l’estomac sont complexes. Ils combinent au minimum l’administration de deux antibiotiques et d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) visant à abaisser l’acidité gastrique. Dans certains cas, un médicament à base de bismuth est ajouté à cette trithérapie. Il fait partie du groupe des métaux lourds et son usage peut provoquer de très graves effets secondaires, de nombreux médecins le déconseillent ainsi.

Le taux d’éradication de la bactérie avec cette prise en charge classique est compris entre 70% et 95%. Les situations d’échec thérapeutique deviennent plus fréquentes en raison de l’émergence de résistances bactériennes aux antibiotiques. De plus, ces thérapies sont associées à des effets secondaires, conséquence de l’action délétère des antibiotiques sur le microbiote intestinal.

Des pistes complémentaires ou alternatives sont ainsi étudiées, et l’administration de probiotiques dans ce cadre retient l’attention.

Amélioration de l’efficacité du traitement standard

Bol de chou fermenté sur une serviette déposé sur une table en bois.
Les probiotiques sont naturellement présents dans les aliments fermentés.

Les effets de ces suppléments alimentaires contre H. pylori ont été évalués lors de nombreuses études. Des chercheurs ont réalisé une méta-analyse de 40 d’entre elles incluant 8 924 patients. La compilation de ces données a indiqué que l’usage de probiotiques en complément des traitements classiques conduit à une amélioration du taux d’éradication de la bactérie de 14%. Ils réduisent par ailleurs de moitié la survenue d’effets secondaires.

La meilleure efficacité est obtenue lorsque les probiotiques sont administrés à la fois avant le traitement médicamenteux et pendant celui-ci, et pour une durée de supplémentation de plus de deux semaines.

Les probiotiques les plus performants se sont avérés être les Lactobacillus et les mélanges de plusieurs souches, devant les Bifidobacterium et les levures Saccharomyces.

Les lactobacilles, des alliés de choix

Les lactobacilles apparaissent ainsi bien adaptés pour combattre H. pylori. Une autre méta-analyse s’est focalisée sur ce type de probiotiques de façon spécifique, en complément de la trithérapie. Elle a confirmé l’amélioration du taux d’éradication de la bactérie, constatée aussi bien chez les adultes que chez les enfants.

Les espèces de lactobacilles les plus efficaces se sont avérées être L. casei et L. reteuri. En revanche, Lactobacillus GG n’a pas exercé d’effet notable.

Production de composés antimicrobiens

Graphique représentant l'inhibition de la croissance de deux souches d'hélicobacter pylori en présence de reutérine
La reutérine inhibe la croissance de H. pylori (souches ATCC 700824 (-○-) et ATCC 43504 (-●-)).

De manière générale, les bienfaits des lactobacilles contre les agents pathogènes reposent sur plusieurs mécanismes d’action. Ils exercent des effets immunorégulateurs, optimisant l’action des lymphocytes T et B, et réduisent les phénomènes inflammatoires.

Ils émettent diverses substances antimicrobiennes comme le peroxyde d’hydrogène et l’acide lactique. Lactobacillus reuteri produit un composé appelé reutérine, capable d’inhiber la croissance de H. pylori à des concentrations relativement faibles comme l’ont montré des tests en laboratoire. Elle réduit par ailleurs l’expression de certains gènes de virulence de H. pylori, affaiblissant son pouvoir pathogène. La reutérine n’exerce en revanche pas d’action délétère sur les cellules composant l’estomac.

Les avantages uniques de la souche L. reuteri DSM 17648

Une équipe de recherche dirigée par la microbiologiste allemande Christine Lang a passé en revue une vaste collection privée de 700 souches de Lactobacillus, prélevées dans des aliments, des plantes ou la peau humaine.

Elles ont été testées sur leur capacité à interagir avec la bactérie H. pylori. Seules 8 d’entre elles ont été en mesure de s’y agréger. La formation de tels complexes entrave l’adhésion de H. pylori à la muqueuse de l’estomac et conduit à son élimination de l’organisme.

Parmi ces 8 candidates, l’une s’est démarquée par sa spécificité de liaison à ce microbe, offrant la garantie de ne pas affecter négativement les bactéries alliées vivant dans le tube digestif. De plus, elle peut agir dans un environnement très acide comme celui de l’estomac, et de façon très rapide, en quelques secondes seulement.

Une bactérie alliée utilisée comme postbiotique

L. reuteri DSM 17648 se démarque également par une autre caractéristique. Elle conserve son action anti-H. pylori même lorsqu’elle a été neutralisée par la chaleur et qu’elle n’est plus viable. Les souches bactériennes inactivées représentent une nouvelle génération de biotiques, qualifiées de postbiotiques.

Au lieu de les rendre inactives sur le plan biologique, leur neutralisation peut optimiser certaines de leurs aptitudes. Dans une étude menée sur 5 souches de bactéries lactiques, les chercheurs ont par exemple montré que leurs non viables sont plus efficaces pour réduire l’adhérence des bactéries pathogènes à la muqueuse gastrique.

Le taux d’éradication bondit de plus de 20%

Un essai clinique a évalué l’efficacité de la souche inactivée L. reuteri DSM 17648 en 2023. Il a rassemblé 90 personnes, qui ont suivi une trithérapie classique pendant deux semaines. Après cette phase, une partie du groupe a reçu le complément postbiotique ou un placebo, sur une durée de 4 semaines.

Le taux d’éradication a augmenté de 22-24% grâce à l’ajout du postbiotique au protocole de prise en charge et les symptômes se sont allégés de façon plus marquée. Certains effets indésirables du traitement médicamenteux, les maux de tête et douleurs abdominales, ont été rapportés uniquement par les participants du groupe placebo.  

Les effets du postbiotique seul

Que peut-on attendre de la prise de cette souche bactérienne seule ? Cette option de traitement a été testée par des chercheurs irlandais chez 24 patients. Ils ont pris un placebo pendant 28 jours, puis la souche inactivée L. reuteri DSM 17648 sur la même durée. À la fin de la complémentation, une tendance à la réduction de la charge bactérienne, qui correspond à la quantité totale de bactéries H. pylori présentes dans l’estomac, a été observée chez 62,5% des participants. On est donc encore loin d’une éradication avec ce type de protocole.

Toutefois, une autre étude a conduit à des résultats plus concluants. Les 46 personnes infectées recrutées ont été réparties en deux groupes. L’un a reçu une trithérapie standard associant un IPP et deux antibiotiques sur une durée classique (l’IPP pendant 30 jours, les antibiotiques pendant 14 jours). Dans le second groupe, les volontaires ont été traités avec le même IPP et ont reçu L. reuteri DSM 17648 sur un temps bien plus long qu’à l’accoutumée, 8 semaines.

À l’issue des traitements, le taux d’éradication du second groupe a atteint 65,22%, contre 73,91%. Cette différence n’est pas significative sur le plan statistique, ce qui a conduit les auteurs à conclure :

« L. reuteri représente une bonne alternative pour les patients souffrant de dyspepsie chronique pour l’éradication de l’infection à H. pylori. Son efficacité est similaire à celle de la triple thérapie ».

Lulia Antonia Pop Muresan et al.


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