Le jeûne guérit-il le cancer ?

Modifié le 21 décembre 2023

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Combattre le cancer est un véritable défi et si l’arsenal thérapeutique dont on dispose actuellement donne de bons résultats contre certaines formes de la maladie, il reste impuissant face à d’autres. Nombre de patients se tournent vers des approches alternatives complémentaires pour améliorer leurs chances de survie et atténuer les effets indésirables des traitements de chimiothérapie. Parmi elles, on trouve des pratiques physiques comme le qi gong, le taï-chi-chuan ou le yoga, la prise de compléments alimentaires de vitamine D, de quercétine ou de curcuma (à noter que ce dernier n’est pas efficace), l’adaptation de son régime alimentaire… Quand certains s’imposent des périodes de jeûne. Mais cette méthode est-elle vraiment efficace contre le cancer ?

Le jeûne, une pratique ancestrale aux bienfaits sur la santé avérés

Le jeûne consiste à se priver de nourriture pendant une période plus ou moins longue. Pratiqué depuis des millénaires dans le cadre notamment de pratiques religieuses, de nombreuses équipes scientifiques à travers le monde s’intéressent à ses effets sur l’organisme. Affamer des formes de vie simples ou réduire drastiquement leur ration calorique améliore leur longévité et leur capacité à supporter des stress de différentes natures.

Chez des animaux plus proches de nous, le jeûne intermittent ou périodique a démontré ses bénéfices dans le cadre de multiples pathologies : diabète, cancer, maladie cardiovasculaires, maladies neurodégénératives… Chez l’être humain, il est efficace pour perdre du poids en cas d’obésité, améliorer la sensibilité à l’insuline et abaisser les facteurs de risques de maladies cardiovasculaires en luttant contre l’hypertension notamment. Il est également prometteur pour combattre les maladies auto-immunes et allergiques comme le lupus, la sclérose en plaque, l’arthrite rhumatoïde, l’asthme…

Son intérêt est étroitement étudié dans le domaine de l’oncologie, et de premiers résultats encourageants ont été obtenus chez l’homme.

Quels effets du jeûne sont à l’origine des bénéfices en cas de cancer ?

La privation de nourriture entraîne de profonds bouleversements au niveau de notre métabolisme. Elle conduit tout d’abord à une diminution du taux de sucre sanguin. Chez la souris, 72 h de jeûne le réduisent de 41 %. Le glucose de notre sang provient en grande partie de notre alimentation, qui comprend à la fois des sucres naturels présents dans les fruits et légumes, les féculents ou légumineuses et des sucres ajoutés présents dans les produits industriels.

Cesser de s’alimenter revient donc à abaisser ces apports. L’organisme va mettre en place des mécanismes pour en restaurer des niveaux plus satisfaisants, mais qui ne parviennent pas à totalement compenser ce manque. Or le glucose est est particulièrement apprécié des cellules cancéreuses. Elles le prélèvent en plus grande quantité que les cellules saines, et l’utilisent d’une manière différente, un phénomène connu sous le nom d’effet de Warburg. Privées en partie de cette nourriture qui soutient leur développement effréné, elles sont mises à mal.

Le taux d’un facteur de croissance associé au risque de cancer diminue en cas de jeûne

représentation 3D de l'IGF-1
IGF-1

Lors du jeûne, le taux d’un autre composé chute drastiquement. Une étude menée auprès de 7 hommes obèses qui ont accepté de jeûner pendant 10 jours a montré que le taux l’IGF-1 (Insulin-like Groth Factor 1), un facteur de croissance, est abaissé de près de 75 %.

De nombreuses études ont établi un lien entre un niveau élevé d’IGF-1 et un risque accru de développer un cancer du poumon, du sein, colorectal, ou de la prostate. Ce facteur de croissance pourrait favoriser la progression de la maladie et de nombreuses approches thérapeutiques sont à l’étude pour tenter de limiter son impact.

Cellules saines et cancéreuses ont des réactions différentes face au manque de nourriture

Les bénéfices du jeûne contre le cancer repose sur un phénomène particulier : les cellules saines et les cellules cancéreuses ne réagissent pas de la même manière à la raréfaction des nutriments.
Les cellules saines ont besoin de facteurs de croissance comme l’IGF-1 ou l’hormone de croissance (GH) pour se développer et se diviser. Lorsque leur taux diminue en cas de jeûne, elles cessent de croître pour se recentrer sur les fonctions de base qui assurent leur survie.

La baisse du taux de glucose sanguin conduit par exemple à l’activation des mécanismes de réponse au stress et la diminution du taux d’IGF-1 stimule la production d’enzymes antioxydantes aux effets protecteurs.

Les cellules cancéreuses sont au contraire totalement insensibles à ces signaux extérieurs, car les mutations qui les ont transformées en cellules cancéreuses les rendent incapables de percevoir ces changements et d’adapter leur fonctionnement à cette situation extrême. Ainsi aveuglées, elles continuent à se diviser de manière effrénée, incapables de réagir au stress liés à la privation de nourriture. Les niveaux de stress oxydatifs augmentent alors au sein de la cellule cancéreuse, son ADN est endommagé et cela peut conduire à sa mort, surtout si une chimiothérapie vient s’ajouter.

Ainsi, plutôt que d’augmenter la toxicité des traitements pour tuer les cellules cancéreuses comme on le fait actuellement, cette approche basée sur le jeûne s’appuie sur l’idée inverse : stimuler la résistance des cellules saines en leur permettant d’activer leurs mécanismes de protection.

Des chercheurs ont ainsi montré qu’en affamant des cellules saines, elles sont 1000 fois plus résistantes aux médicaments de chimiothérapie que les cellules cancéreuses.

Les bénéfices du jeûne en cas de cancer sont-il validés chez les êtres vivants ?

Les effets du jeûne ont bien sûr été testés chez des animaux de laboratoire utilisés comme modèles d’étude de différents type de cancer.

Dans l’un de ces projets de recherche, des chercheurs ont testé l’approche sur des souris auxquelles ont été inoculées des cellules de cancer du cerveau. Ils ont constaté qu’un jeûne de 48 h prolonge la durée de vie moyenne des animaux de 14 à 15 jours, exactement de la même manière qu’un cycle de chimiothérapie menée au 7 et 8ème jour après l’inoculation du cancer. L’effet le plus significatif a été obtenu avec l’association des deux approches ; la survenue des premiers cas de décès a été retardée, la durée moyenne de survie légèrement prolongée et un des animaux a même survécu à long terme.

Le jeûne est également en mesure de protéger contre les effets indésirables de la chimiothérapie. La doxorubicine par exemple est toxique pour les cellules cardiaques. Des chercheurs ont montré que le jeûne permet de limiter ce phénomène et améliore la fonction cardiaque des souris qui en ont reçu de fortes doses. Ces bénéfices sont en revanche perdus quand du glucose est injecté aux animaux.

Les effets du jeûne ont-ils été testés chez des patients atteints de cancer ?

Les études évaluant les effets du jeûne chez des patients souffrant de cancer sont rares. La plus solide en terme de méthodologie a été menée par une équipe allemande dirigée par le professeur Stéphane Bauersfeld de l’Institut de la santé de Berlin. Les chercheurs ont recruté 34 patientes atteintes d’un cancer gynécologique pour lesquelles étaient planifiées 4 à 6 cycles de chimiothérapie. Chacune a suivi deux régimes alimentaires différents : pour la moitié des cycles, elle jeûnait, pour l’autre moitié, elle se nourrissait normalement. Les modalités du jeûne étaient les suivantes : il débutait 36 h avant la chimiothérapie et se prolongeait 24 h, soit une durée totale de 60 h pour chaque séance de traitement.

Les analyses ont montré que les femmes avaient une meilleure qualité de vie et se sentaient moins fatiguées dans les 8 jours suivant la chimiothérapie quand elles jeûnaient en parallèle de leur traitement, par rapport à la période où elles s’alimentaient normalement.

Le jeûne mené de cette manière n’a pas provoqué de perte de poids chez les patients, et aucun effet indésirable qui aurait pu entraver leur capacité à mener à bien leurs activités quotidiennes.
Précaution indispensable pour ne pas faire courir de risque aux malades, les chercheurs avaient écarté de l’étude les personnes ayant perdu du poids peu de temps avant ou dont l’indice de masse corporel était trop bas (en dessous de 19, la norme se situant entre 20 et 25).

Dans une étude antérieure conduite par le professeur Safdie de l’Université de Californie du Sud, le cas de 10 patients atteints de différents types de cancers (cancer gynécologique, cancer de la prostate, cancer du poumon ou de l’œsophage) qui ont volontairement effectué un jeûne en parallèle de leur chimiothérapie a été rapporté.

Selon les patients, la privation de nourriture débutait 48 à 140 heures avant la séance, et se poursuivait éventuellement pendant 5 à 56 heures à son issue. En dehors d’une sensation de faim et d’étourdissements, le jeûne a été bien toléré par les pratiquants. 6 d’entre eux ont expérimenté la chimiothérapie dans les deux conditions, en jeûnant ou non ; ils ont déclaré qu’ils ressentaient moins de fatigue, de faiblesse et de troubles digestifs lorsqu’ils jeûnaient. L’absence d’alimentation n’a pas réduit l’efficacité de la chimiothérapie contre la maladie.

Le jeûne protège les cellules des dommages provoqués par la chimiothérapie

Les effets protecteurs de cette approche sur les cellules saines ont été démontrés par une recherche dirigée par le professeur Stefanie de Groot de l’Université de Leiden aux Pays-Bas. Le jeûne couplé à la chimiothérapie chez des femmes souffrant d’un cancer du sein a permis de réduire les dommages au niveau de l’ADN subis par les cellules sanguines du système immunitaire (lymphocytes, cellules dendritiques, monocytes et macrophages).

L’équipe du Professeur Tanya Dorff de l’Université de Californie du Sud a également constaté la réduction des dommages provoqués par la chimiothérapie au niveau de l’ADN des globules blancs. La protection augmentait avec la durée du jeûne, l’ADN étant mieux préservé avec trois jours de jeûne qu’avec un seul.

Quelles sont les limites à la pratique du jeûne chez les patients atteints de cancer ?

Le jeûne doit cependant être utilisé avec de multiples précautions chez les personnes souffrant de cancer. En effet, la majorité des malades n’ont pas un statut nutritionnel optimal, en raison de la maladie elle-même ou de ces traitements, et bon nombre d’entre eux souffrent de sarcopénie, une fonte de la masse musculaire dont l’effet secondaire principal est l’affaiblissement de l’immunité (les protéines des muscles sont utilisées par le corps pour fabriquer des cellules immunitaires). Ainsi, cette approche pourrait n’être indiquée que chez une minorité de patients.

Le jeûne sur une période courte est par contre plus indiqué que la restriction calorique, aux effets bénéfique sur la longévité, elle aussi très étudiée en oncologie. Les effets positifs d’une réduction de 20 à 40 % des apports en calories quotidiennes prennent des semaines, voire des mois pour se manifester et cette approche à un impact plus faible sur le taux de glucose et d’IGF-1. Elle provoque de plus une perte de poids importante, ce qui n’est pas le but recherché pour la plupart des malades atteints de cancer.

Les substances qui reproduisent les effets de la restriction calorique pourraient représenter une alternative intéressante pour tirer des bénéfices de l’approche en cas de cancer sans se priver de nourriture. De nombreux candidats existent, donc des composés naturels comme le resvératrol, le picéatannol, la butéine ou la nicotinamide riboside. Pour cette dernière, les études chez l’Homme sont à ce jour cependant décevantes. Le recours à la glycine, qui permet de tempérer les effets de l’IGF-1, est une autre piste à explorer.

Le jeûne fait apparaître le talon d’Achille des cellules cancéreuses : leur incapacité à cesser leur multiplication pour se protéger face à une situation périlleuse. L’exploiter représente donc un levier potentiel pour combattre la maladie. Les données positives s’accumulent chez l’animal et chez l’Homme.

Cependant, on est encore loin des effets miraculeux décrits par certains. À l’heure actuelle, il est totalement abusif de certifier que le jeûne peut guérir le cancer. Il pourrait en revanche limiter les dommages cellulaires provoqués par la chimiothérapie et réduire ses effets indésirables. Avec des conséquences favorables sur la qualité de vie des patients, à condition toutefois qu’ils ne présentent pas une trop grande fragilité pour supporter la privation temporaire de nourriture.

D’autres pistes autour du levier alimentaire sont testées et pourraient s’avérer fructueuses : la supplémentation à l’aide de jus de légumes concentrés, la consommation de café, le régime cétogène…


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