Miraculine : que dit la science de ses effets sur la santé ?
Imaginez un instant pouvoir profiter du plaisir du sucre sans avoir à vous soucier des conséquences sur la balance. Impossible ? La baie d’une plante africaine détient pourtant un composé qui porte bien son nom : la miraculine, capable de se jouer de nos sens pour transformer un goût acide en saveur sucrée. Ce fruit insolite, source de nombreux principes actifs, pourrait apporter de nombreux bienfaits pour notre santé. Ils restent néanmoins à valider par des travaux scientifiques plus amples, notamment chez l’Homme.
Qu’est-ce que la miraculine ?
La miraculine est une glycoprotéine – une molécule composée de protéine et de glucide(s) – présente dans les baies d’un arbuste, Synsepalum dulcificum ou Richadella dulcifica. Natif des régions forestières tropicales d’Afrique de l’Ouest et du Centre, il a été introduit dans différentes régions du monde. Il est notamment cultivé en grande quantité à Taïwan et au Japon pour ses fruits, de couleur rouge à maturité, surnommés les baies du miracle.
L’étrange pouvoir de transformer le goût acide en sucré
Les populations qui vivent dans les régions où l’arbuste est endémique connaissent bien le pouvoir singulier de ses fruits. Ils sont consommés pour adoucir le goût des aliments et des boissons aigres et acides comme le Koko, une bouillie fermentée de maïs et de millet, ou le vin de palme. Cette vertu est attribuée à la miraculine. Si cette molécule n’est pas sucrée en elle-même, elle modifie le goût acide en goût sucré. L’effet est rapide, et débute seulement quelques secondes après l’ingestion d’une baie, pour se prolonger d’une demi-heure à deux heures le plus souvent. Il ne se manifeste pas chez l’ensemble des mammifères. Si les êtres humains, les chimpanzés ou les singes rhésus y sont sensibles, la miraculine reste sans effet chez les rongeurs.
Modulation du goût du sucre
Depuis sa première extraction et purification en 1968 par des chercheurs japonais, la science essaie de percer ses mystères. L’intuition des premiers chercheurs qui ont travaillé sur ce composé unique en son genre s’est confirmée. La miraculine trompe notre sens du goût en agissant sur les cellules sensorielles présentes au niveau des papilles gustatives qui tapissent notre bouche. Elles détectent les cinq saveurs de base – sucré, salé, amer, acide et umami ou délicieux – par l’intermédiaire de récepteurs spécifiques. S’ils sont présents en quantité plus importante dans certaines régions de la langue, ils ne sont pas regroupés par type comme on l’avait considéré par le passé de manière erronée. La miraculine interagit spécifiquement avec le récepteur détectant le goût sucré.

Physiologie du goût sucré
Le récepteur gustatif qui relaie la saveur sucrée est composé de deux sous-unités, hT1R2 et hT1R3. Enchâssé dans la membrane des cellules sensorielles gustatives, il possède une large partie exposée au milieu extérieur. Elle capte les molécules sucrées comme le glucose ou le saccharose qui arrivent en bouche. L’aspartame et les autres édulcorants, ou certains acides aminés sucrés comme la glycine s’y fixent également. Leur liaison provoque des changements dans la conformation spatiale du récepteur, qui initient une cascade de réactions aboutissant à l’émission d’un message nerveux. Le cerveau le traduit en perception du goût sucré.
Activation du récepteur du sucre en présence d’acidité
Des chercheurs ont proposé un modèle pour décrire le mode d’action de la miraculine sur ce récepteur dans la revue Nature. Elle se fixe sur une portion de la sous-unité hT1R2 ; à pH neutre, elle reste sous forme inactive. Lorsqu’un composé acide arrive en bouche – de l’acide citrique par exemple – il libère des protons (H+). La miraculine ainsi que la partie externe du récepteur s’y lient. Cette réaction chimique de protonation provoque une activation partielle du récepteur sucré. Une partie de l’acide traverse ensuite la membrane cellulaire de la cellule sensorielle, provoquant l’acidification de son milieu intérieur. La portion du récepteur qui s’y trouve peut alors capter des protons, ce qui débouche sur une activation complète. L’effet est puissant, la saveur sucrée perçue par notre cerveau pourrait être 400 000 fois supérieure à celle du saccharose (le sucre de table) selon certains auteurs. Il prend fin sous l’action de l’amylase, une enzyme présente dans la salive qui dissocie la miraculine du récepteur.

Effet inverse à pH neutre
Si l’on ne consomme pas d’aliments acides, la miraculine se comporte comme un antagoniste au niveau du récepteur sucré et limite la perception de cette saveur, comme l’ont montré les travaux d’une équipe franco-japonaise. L’ajout de miraculine s’oppose en effet à l’activation du récepteur par les différents sucres. Comme le site de liaison de la miraculine au récepteur diffère de celui de ces autres sucres, l’antagonisme exercé par la miraculine ne peut être lié à une compétition directe entre molécules pour l’occuper.
Effets nutritionnels
Cette étrange propriété modificatrice de goût de la miraculine peut être mise à profit dans certaines circonstances. Deux axes principaux se profilent. En adoucissant le goût des aliments sans les charger en calories, elle apparaît comme une alternative au sucre. Elle pourrait également aider les personnes souffrant de troubles de la gustation à retrouver le plaisir de manger.
Sucrer naturellement sans calories
L’excès de consommation de sucres est un problème majeur de santé publique, dans la mesure où il contribue largement au développement de l’obésité et de nombreuses maladies chroniques comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires ou le cancer. La recherche d’alternatives plus saines est ainsi constante. Si les sucres artificiels ont pu être considérés comme une solution, on sait aujourd’hui qu’ils ne sont pas anodins pour notre santé, notamment en raison des déséquilibres du microbiote intestinal qu’ils entraînent. La miraculine avec son mode d’action singulier apparaît être une candidate particulièrement intéressante et des équipes de recherche explorent cette piste.
Aide pour perdre du poids
Lors d’une étude, 13 volontaires ont consommé un bâtonnet glacé élaboré à partir de jus de citron en guise de dessert. Dans un cas, il était sucré avec du saccharose et riche en calories (environ 200 calories), dans l’autre pauvre en sucres et peu calorique (environ 34 calories). Cette consommation était précédée ou non de l’ingestion de fruit du miracle. Lorsque les participants ont bénéficié de la miraculine, ils ont trouvé que le bâtonnet glacé peu calorique avait une saveur plus sucrée. La molécule a gommé les différences de saveurs entre les deux types de dessert. Ils ont consommé globalement moins de calories au cours de la journée, il n’y a donc pas eu de rattrapage des calories manquées lors des autres repas.
Le fruit miracle peut améliorer avec succès la douceur d’un bâtonnet de glace à faible teneur en sucre à une ampleur similaire à celle d’un bâtonnet de glace fortement sucré, sans compensation énergétique ultérieure pour les calories manquantes.
Janine M. Wong and Mark Kern
Une étude a également montré que le fruit du miracle reproduit le pouvoir sucrant du sucralose, un édulcorant artificiel au pouvoir sucrant intense, dans la limonade. Il serait ainsi possible d’envisager la mise sur le marché de boissons ou d’aliments acides au profil nutritionnel moins défavorable. Il existe cependant de nombreux obstacles à cet usage, principalement liés à la rareté de cette ressource naturelle et à l’instabilité de la miraculine.
Redonner de l’appétit

La miraculine pourrait par ailleurs apporter un soutien à certains malades. Les personnes atteintes d’un cancer par exemple et traitées par chimiothérapie présentent souvent une altération du goût. Cette situation, appelée dysgueusie, s’installe parfois sur une longue période, favorisant la survenue d’un état de malnutrition. Une étude pilote a été menée auprès de 8 patients souffrant d’un cancer et dont le sens du goût était affecté. Chaque participant a reçu de la miraculine pendant une période de 15 j, et un placebo sur la même durée. Tous ont noté des effets positifs dans la perception du goût. Ces troubles ne sont pas cantonnés au cancer, et peuvent survenir lors de nombreuses autres situations pathologiques, au cours de traitements médicamenteux ou même du vieillissement.
Effets sur la santé
Outre son contenu en miraculine, les baies du miracle possèdent d’autres atouts qui lui confèrent des propriétés thérapeutiques. Elles disposent notamment d’une forte activité antioxydante liée à leur richesse en vitamine C et en terpénoïdes (composés phénoliques et flavonoïdes). Elles possèdent également une activité antitumorale permettant de contrôler la prolifération cellulaire, comme l’ont montré des expériences in vitro sur des cellules de cancer colorectal.
Les études expérimentales sur le diabète
La plante Synsepalum dulcificum fait partie de la pharmacopée traditionnelle des régions d’Afrique où elle est endémique. Elle est par exemple utilisée au Nigeria comme antidiabétique. Des travaux de recherche tendent à valider cette approche. Au cours d’une étude in vitro, des chercheurs malaisiens ont mis en évidence l’activité antidiabétique soutenue de l’extrait de pulpe des baies de l’arbuste. Elle est liée à l’inhibition de deux enzymes, l’α-amylase et l’α–glucosidase, impliquées dans la digestion des glucides. En limitant leurs effets, le végétal freine l’élévation du taux de sucre dans le sang qui suit le repas.
L’effet hypoglycémiant des baies du miracle a par ailleurs été constaté chez l’animal. Il a permis de lutter contre la résistance à l’insuline, une situation qui caractérise le diabète de type 2, chez des rats dont le métabolisme a été altéré par une alimentation trop riche en fructose.
Effets contre la goutte et les coliques néphrétiques
Les baies du miracle pourraient également combattre l’excès d’acide urique dans le sang, qui favorise la formation de cristaux au niveau de l’appareil urinaire ou des articulations, déclenchant respectivement coliques néphrétiques et crises de goutte. Des chercheurs ont en effet découvert qu’un extrait de ces fruits parvient à bloquer l’action de l’enzyme qui donne naissance à l’acide urique, la xanthine oxydase. Les effets exercés par la plante sont comparables à ceux d’un médicament couramment utilisé dans ce cadre, l’allopurinol.

Autorisation par les autorités sanitaires
Depuis le 15 novembre 2021, la mise sur le marché de compléments alimentaires contenant des baies du miracle séchées, avec une teneur en miraculine de 2,5% au maximum, est autorisée. L’Autorité européenne de sécurité des aliments a jugé que les informations sur le processus de fabrication et la composition de ce nouvel aliment sont suffisantes et ne soulèvent pas d’inquiétudes relatives à la sécurité des consommateurs. Il est toutefois réservé aux adultes, à l’exception des femmes enceintes ou allaitantes, à la dose maximale de 0,7g par jour. Il n’a pas le même statut aux États-Unis, où il est considéré comme un additif alimentaire par la Food and Drug Administration.
Controverses liées à son utilisation
Les baies du miracle sont remarquables et n’ont pas d’équivalents connus dans le règne végétal. Certains vendeurs ont bien compris l’enjeu commercial qui leur est associé, et les baies peuvent être facilement achetées sur internet, entières ou réduites en poudre. Les promesses affichées sont des extrapolations de données scientifiques pour la plupart recueillies en laboratoire. Les recherches menées chez l’être humain sont en effet peu nombreuses. Il est ainsi hâtif de conclure que la consommation des baies peut faire perdre du poids, combattre le diabète ou encore le cancer. Le coût de ces produits est par ailleurs très élevé, et leur impact environnemental non négligeable. Les baies du miracle viennent de loin et sont souvent emballées individuellement. L’arbuste tend en plus à se faire rare dans certaines régions où il poussait jadis en abondance.
Enfin, un problème majeur se pose. Cette plante nécessite des conditions bien particulières pour être cultivée, et il est à ce jour impossible d’obtenir les quantités de miraculine qui seraient nécessaires pour représenter une alternative viable au sucre. La production de cette substance par d’autres plantes comme la tomate ou la laitue fait l’objet d’études, mais n’a pas encore été concluante. Et elle implique le recours à des organismes génétiquement modifiés, une option très controversée. Si les baies du miracle peuvent faire l’objet d’une expérience gustative inédite, elles sont à ce jour difficilement intégrables à une routine alimentaire quotidienne durable.