Peut-on se faire plaisir en mangeant et rester mince ?

Modifié le 14 décembre 2023

Temps de lecture : 7 minutes
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Peut-on se faire plaisir en mangeant, tout en restant mince ?

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La tentation est partout : au coin de la rue, dans les rayons des magasins, dans les placards de la cuisine… Si nos ancêtres devaient batailler pour accéder à la nourriture, notre monde contemporain en déborde. Peut-on y céder et se faire plaisir tout en conservant la ligne ?

La sensation de faim : entre besoin vital et plaisir

Il convient tout d’abord de distinguer la faim physiologique, déclenchée par un besoin réel, de la faim hédonique, uniquement motivée par le plaisir gustatif qui lui est associé.

La faim physiologique permet de restaurer les niveaux d’énergie

Lorsque l’estomac crie famine, il est impossible d’en faire abstraction. Il s’agit d’un mécanisme de survie, qui nous incite à consommer de la nourriture pour pallier au manque d’énergie dont souffre l’organisme.

Il implique des composés particuliers, les médiateurs de la faim, qui vont stimuler des zones cérébrales principalement localisées dans l’hypothalamus. Elles déclenchent alors le comportement de prise alimentaire. À mesure que nous mangeons, des médiateurs de la satiété prennent le relais pour porter l’information que le besoin a été satisfait.

La faim hédonique ou la recherche du plaisir gustatif

Dans les faits, il faut bien reconnaître que nous ne mangeons pas seulement pour satisfaire nos besoins physiologiques. La recherche d’un certain plaisir prend facilement le pas sur les besoins physiologiques : c’est la faim hédonique.

Dans ce contexte, notre corps réagit de façon très différente selon le degré d’appétence des aliments consommés, comme l’ont montré des chercheurs italiens dans une série d’investigations. 

Manger des aliments neutres ou son plat préféré n’a pas le même effet sur notre organisme

Dans une première étude, les scientifiques ont recruté 8 adultes en bonne santé âgés de 21 à 33 ans auxquels ils ont donné un repas composé de leurs aliments préférés dans un premier temps puis, à une deuxième occasion, un repas comportant le même nombre de calories sous forme d’aliments moins appétissants. Ils ont suivi l’évolution du taux sanguin de certains composés impliqués dans les comportements alimentaires et découvert des disparités selon la situation.

La nourriture plaisir augmente le taux de ghréline, l’hormone de la faim

La ghréline fait partie des hormones de régulation du comportement alimentaire
La ghréline fait partie des hormones de régulation du comportement alimentaire

Le premier composé étudié a été la ghréline, une des hormones clefs régulant la prise alimentaire, produite par des cellules de l’estomac quand il est vide et qui encourage à initier un repas. Elle est ainsi surnommée « hormone de la faim ».

Quand les participants ont reçu la nourriture, la concentration de ghréline a tout d’abord augmenté pendant quelques instants, avant qu’ils ne commencent à manger. La simple vue d’un repas stimule en effet sa production ; l’augmentation a été légèrement plus marquée avec la collation appétissante.

Mais là où une nette différence est apparue, c’est dans l’évolution de son taux lorsque les participants ont commencé à manger. De façon tout à fait attendue, il a diminué avec la nourriture neutre, calmant le signal de la faim à mesure que les participants se restauraient.

Avec la nourriture plaisir, il a au contraire augmenté. L’implication coule de source : une concentration élevée de ghréline dans l’organisme entretient la sensation de faim et motive à continuer à manger.

La ghréline stimule la recherche du plaisir et l’envie de manger

Alors que l’on imaginait cette hormone impliquée uniquement dans la régulation de la faim physiologique, des travaux ont mis en évidence le rôle de la ghréline dans la dimension hédonique de l’alimentation. À la manière des drogues, elle favorise la libération de dopamine au niveau d’une région du cerveau lié au circuit de la récompense, le noyau accumbens.

Lorsqu’elle est injectée à des volontaires ensuite exposés à des photos d’aliments, la ghréline augmente la valeur qui leur est attribuée et l’envie de les consommer.

La ghréline agit à différents niveaux du cerveau pour stimuler à la fois l'envie de manger, et la recherche du plaisir associé à ce comportement
La ghréline agit à différents niveaux du cerveau pour stimuler à la fois l’envie de manger, et la recherche du plaisir associé à ce comportement

La nourriture plaisir diminue la production de cholécystokinine, une hormone de la satiété

L’augmentation du taux de ghréline va de pair avec la diminution de celui d’une hormone au rôle strictement opposé, la cholécystokinine. Elle est produite au niveau de la première partie de l’intestin quand celui-ci détecte la présence de certaines familles de nutriments. Elle émet un signal de satiété qui incite à arrêter de manger, mais qui est atténué quand on mange par plaisir.

La nourriture plaisir agit sur le système endocannabinoïde

Le 2-arachidonoylglycérol (2-AG) est un canabinoïde qui agit sur le circuit de la récompense
Le 2-arachidonoylglycérol (2-AG) est un canabinoïde qui agit sur le circuit de la récompense

Les chercheurs ont également suivi l’évolution du taux de différents représentants du système endocannabinoïde. Celui-ci comporte un ensemble de composés et de récepteurs, qui régulent de nombreuses fonctions cérébrales : processus de mémorisation et d’apprentissages, motricité… Ils interviennent également dans le circuit de la récompense.

Chez les 8 volontaires, les concentrations en l’un de ces composés, le 2-arachidonoylglycérol (2-AG), n’ont pas suivi la même évolution avec la nourriture plaisir et la nourriture neutre.

Avant la prise du repas, les taux étaient plus élevés dans le sang lorsque les personnes savaient qu’elles allaient manger une nourriture appréciée. Autrement dit, l’organisme avait déjà anticipé le plaisir de la nourriture à venir.

Après avoir initié le repas, la concentration en 2-AG a diminué dans les deux situations. En revanche, elle est restée à un niveau bien plus élevé avec la nourriture plaisir, même deux heures après le repas.

Les cannabinoïdes influencent la sensation de faim

Le rôle joué par les cannabinoïdes sur la faim est bien connu des amateurs de cannabis. Cette plante contient en effet des composés qui interagissent avec notre système endocannabinoïde et déclenchent des fringales. Il s’agit d’ailleurs bien là de l’une des vertus thérapeutiques du cannabis médical, qui est utilisé pour améliorer l’appétit des personnes atteintes de maladies chroniques (sida, cancer…) ou souffrant d’anorexie.

Le 2-AG se lie à l’un des deux types de récepteurs des endocannabinoïdes, le récepteur CB1. Quand on bloque ces récepteurs chez l’animal, la consommation de nourriture plaisante ne provoque plus de libération de dopamine. Malgré un accès à volonté, les animaux la délaissent.

Chez l'animal, le blocage du récepteur CB1 aux endocannabinoïde provoque le désintérêt pour la nourriture plaisir
Chez l’animal, le blocage du récepteur CB1 aux endocannabinoïde provoque le désintérêt pour la nourriture plaisir

Manger par plaisir favorise la prise de poids

Il apparaît donc clairement que la consommation d’aliments plaisants active les circuits de la récompense et interfère avec les mécanismes de régulation de la prise alimentaire. Les signaux de la faim sont amplifiés et les médiateurs de la satiété réduits au silence.

La faim hédonique pourrait stimuler fortement la surconsommation alimentaire dans un environnement où les produits hautement appétissants sont omniprésents et contribuer ainsi à l’augmentation de l’obésité.”

Monteleone et al.

L’idée n’est bien sûr pas de renoncer à tout plaisir gustatif, mais d’apprendre à distinguer la faim physiologique de la faim hédonique pour mieux maîtriser ses comportements alimentaires.

L’obésité s’accompagne d’un dérèglement du système endocannabinoïde

Le même groupe d’étude a reproduit ces expériences chez des personnes en excès de poids ou présentant des troubles alimentaires pour déterminer si l’organisme se comporte de la même manière dans ces situations.

En cas d’obésité, ils ont constaté que la quantité de 2-AG augmente après le repas plaisir, là où elle est supposée baisser. Le taux d’un autre endocannabinoïde, l’anandamide (AEA), ne fluctue pas alors qu’il devrait lui aussi diminuer.

L'évolution du taux d'endocannabinoïdes (2-AG et AEA) est très différente entre une prise alimentaire physiologique ou hédonique
L’évolution du taux d’endocannabinoïdes (2-AG et AEA) varie entre une prise alimentaire physiologique ou hédonique

L’obésité avec hyperphagie est associée à un profil particulier en endocannabinoïdes

Chez les personnes obèses souffrant d’hyperphagie, la situation est encore différente. Le niveau de 2-AG ne varie que peu, ce qui pourrait s’expliquer selon les chercheurs par une sorte de tarissement de cette production lié à l’enchaînement des moments où de grandes quantités de nourriture sont ingérées.

L’AEA prend en revanche le relais, et son taux s’envole après la consommation de nourriture plaisir, ce qui participe à ce sentiment d’urgence de manger caractéristique du trouble.

Une piste thérapeutique pour lutter contre l’obésité

Être capable de moduler la réponse du système endocannabinoïde pourrait donc être une clef pour aider les patients dans ces situations. Pour l’instant, les tentatives se sont avérées infructueuses. Le rimonabant, un composé capable de bloquer les récepteurs CB1, avait suscité des espoirs dans le traitement de l’obésité car il facilitait la perte de poids. Mais en interférant avec ce système, il entraînait également des indésirables au niveau psychiatrique, illustrant bien la délicate équation qui consiste à réfréner certains plaisirs sans compromettre sa santé mentale.


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