Les pesticides seraient impliqués dans le risque de dépression

Modifié le 14 décembre 2023

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L'exposition au pesticides augmente le risque de dépression

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Largement employés dans le domaine agricole et présents dans notre vie quotidienne, les pesticides sont des produits dangereux qui menacent la santé de ceux qui y sont exposés. Ils augmentent notamment le risque de développer certains cancers, altèrent la fertilité et semblent favoriser la survenue de la maladie de Parkinson.

Mais ils pourraient également avoir un impact sur notre équilibre mental, et les données s’accumulent sur leur rôle potentiel dans la survenue de la dépression. Si les agriculteurs sont en première ligne, le reste de la population n’en serait pas préservée.

L’exposition aux pesticides est liée à la dépression chez les agriculteurs

Dans leurs pratiques quotidiennes, la majorité des agriculteurs utilisent des pesticides – herbicides, fongicides ou autres insecticides – pour protéger leurs cultures. En manipulant ces produits phytosanitaires, ils s’y exposent inévitablement, par inhalation ou contact avec la peau et les muqueuses. Différentes études menées à travers le monde se sont intéressées aux conséquences de ces gestes routiniers sur le risque de dépression chez ces professionnels.

L’exposition accidentelle à une dose massive de pesticide double le risque de dépression

Des chercheurs américains ont ainsi mis en évidence que les agriculteurs victimes d’une intoxication aiguë aux pesticides ont un risque de dépression multiplié par deux dans les trois années qui suivent. 

Ces accidents conduisant à une exposition à une dose importante de pesticides ne sont pas rares dans la pratique agricole. Ils interviennent au cours de la manipulation de ces produits lors de la phase de préparation des mélanges, de leur épandage dans les champs ou lors du nettoyage du matériel.

Les agriculteurs peuvent être exposés à de fortes doses de pesticides lors d'accidents
Les agriculteurs peuvent être exposés à de fortes doses de pesticides

Une étude menée en Corée du Sud a montré que le risque de dépression était d’autant plus élevé que l’empoisonnement était important, et que plusieurs de ces événements avaient eu lieu.

Une exposition chronique à des faibles doses augmente le risque de dépression

Même en dehors de ces épisodes particuliers, l’usage régulier des produits chimiques pourrait favoriser la survenue de la dépression. 

En 2013, des chercheurs de Harvard ont publié des travaux synthétisant les informations recueillies pendant plusieurs années auprès de 567 agriculteurs français.

Ils ont montré que les agriculteurs qui ont utilisé des herbicides (désherbants) pendant moins de 19 ans ont un risque augmenté de dépression de 51% par rapport aux personnes non exposées. Pour les agriculteurs qui les ont utilisés pendant plus de 19 ans, le risque était bien plus important, avec une augmentation de 131%.

L'exposition chronique à de faibles doses de pesticides augmente drastiquement le risque de dépression
L’exposition chronique à de faibles doses de pesticides augmente drastiquement le risque de dépression
Le DDT ou dichlorodiphényltrichloroéthane fait partie de la famille des insecticides organochlorés
Le DDT fait partie de la famille des insecticides organochlorés

L’année suivante, une analyse de la littérature a compilé les informations issues d’études menées pendant 20 années sur l’usage de 10 classes de pesticides et 50 de ces produits par plus de 21000 agriculteurs vivant dans deux états américains, l’Iowa et la Caroline du Nord.

Parmi ces produits phytosanitaires, l’usage de sept d’entre eux s’est trouvé lié au risque de dépression. De façon globale, les pesticides de la famille des organochlorés (principalement utilisés pour tuer les insectes) étaient associés à une augmentation du risque de dépression de 90 %, les fumigènes (des produits qui diffusent une fumée toxique pour les insectes) de 80 %.

Suicide chez les agriculteurs : la part de responsabilité des pesticides

Les suicides sont plus fréquents dans le monde agricole que dans le reste de la population. Si les conditions de travail éprouvantes couplées à une situation économique parfois incertaine ne sont pas étrangères à ces passages à l’acte, il se pourrait que l’exposition aux produits chimiques n’arrange en rien la situation. Là encore, s’il est presque impossible d’obtenir de preuves directes de leur implication, certaines données sont troublantes.

Une étude menée au Brésil a établi que les décès par suicide sont plus fréquents chez les agriculteurs qui vivent dans les zones de l’état de Rio de Janeiro où les dépenses par agriculteur pour l’achat de pesticides, traduisant l’intensité des usages, sont les plus élevées.

Dans une zone rurale de Chine au sein de la province de Zhejiang, une enquête menée auprès de 9811 habitants indique que le risque d’avoir des idées suicidaires est deux fois plus important chez les personnes qui stockent des pesticides à domicile, reflet là encore des habitudes d’utilisation.

Les ouvriers travaillant dans les plantations de bananes au Costa Rica empoisonnés aux pesticides ont un risque accru d’avoir des idées suicidaires : il est multiplié par 2,65 pour une exposition massive et par 5 à partir de deux expositions.

Pesticides au quotidien : tous exposés au risque de dépression ?

Si la littérature scientifique explorant les liens entre dépression et usage des pesticides dans le milieu agricole est relativement abondante, peu d’informations sont disponibles sur la situation vis-à-vis de l’usage domestique des pesticides.

Trois Français sur quatre utilisent des pesticides à la maison

Les pesticides sont pourtant omniprésents dans nos domiciles. L’ANSES a exploré les pratiques des français par rapport à ces produits dans l’étude Pesti’home, dont les résultats ont été publiés en 2019. Elle révélait que 75% des ménages ont eu recours à au moins un de ces produits pesticides dans l’année écoulée.    

Les plus communément utilisés sont les insecticides (pour traiter les puces et tiques des animaux domestiques, se débarrasser des insectes volants ou rampants…), suivis par les herbicides et fongicides pour traiter les plantes. Certains sont directement appliqués sur la peau, parfois fréquemment sur certaines périodes de l’année, comme c’est le cas avec les répulsifs contre les moustiques.

Certains insecticides sont appliqués sur la peau de manière répétée
Certains insecticides sont appliqués sur la peau de manière répétée

L’usage des pesticides domestiques associé à un risque accru de dépression chez les non-sportifs

Une équipe sino-américaine a mis en évidence un risque accru de dépression de 32% chez les personnes exposées à ces pesticides domestiques en comparaison avec celles qui n’en utilisent pas. Ils ont poussé leurs recherches pour déterminer si le niveau d’activité physique pouvait moduler ce risque. Ils ont découvert que chez les participants ayant un faible niveau d’activité, le risque de dépression s’élevait de 50%. En revanche, aucun surrisque n’a été relevé pour les usagers de pesticides domestiques pratiquant une activité physique modérée à intense.

Les bénéfices du sport dans ce cadre pourraient être liés à sa capacité à favoriser l’élimination des composés toxiques de notre organisme, tout en stimulant les processus de neurogenèse et en limitant les phénomènes inflammatoires et oxydants.

Il est cependant bien sûr préférable de bannir au maximum ces produits de nos quotidiens plutôt que de compter sur une protection totale conférée par la pratique sportive.

L’exposition aux pesticides en zone rurale est un facteur de risque de dépression

Le dosage de l'acétylcholinestérase témoigne de l'exposition aux pesticides
Le dosage de l’acétylcholinestérase témoigne du niveau d’exposition aux pesticides

À côté de l’usage volontaire de produits contenant des pesticides, une partie de la population est exposée à ces substances en raison de sa proximité avec les lieux d’épandage. Les gouttelettes peuvent en effet dériver lors de leur application ou se volatiliser des champs, vergers ou vignes dans un second temps.

En France, pour la plupart des produits phytosanitaires, la zone d’exclusion n’est que de 5 mètres autour des habitations.

Une étude a été menée auprès d’adolescents de 11 à 17 ans vivant en Équateur, un pays où on cultive massivement des roses à grand renfort d’insecticides de la famille des organophosphates. Les chercheurs ont mesuré le niveau d’acétylcholinestérase présente dans le sang de 529 jeunes gens. Un abaissement du taux de cet indicateur biologique témoigne de l’exposition aux pesticides. Les adolescents en présentant de bas niveaux souffraient plus fréquemment de symptômes dépressifs que leurs camarades moins contaminés. L’association était plus marquée chez les filles et les moins de 14 ans.

Le taux d'acétylcholinestérase est impacté par les pesticides, et lié au symptômes dépressifs
Le taux d’acétylcholinestérase est impacté par les pesticides, et lié au symptômes dépressifs

Exposition aux pesticides et grossesse : une menace pour le développement du fœtus ?

La période prénatale est une phase particulièrement sensible de la vie, où les polluants peuvent interférer avec le développement du système nerveux et avoir un impact négatif durable.

Une étude menée chez la souris montre que l’exposition du fœtus in utero à un pesticide de la famille des organophosphates (le chlorpyrifos), par l’intermédiaire de sa mère au cours de la gestation, induit des comportements anxieux chez les souriceaux.

Ces résultats sont-ils transposables à l’Homme ? S’il est difficile de répondre définitivement, on sait que l’exposition de femmes enceintes à des pesticides de la famille des pyréthrinoïdes est associée à un risque plus élevé de troubles du comportement et de dépression chez leurs enfants.

Les pyréthrinoïdes sont présents dans les insecticides utilisés à la maison et dans les pipettes antiparasitaires pour animaux de compagnie. Une étude de l’Inserm avait établi un lien entre l’exposition à ces composés et une baisse des performances intellectuelles chez les enfants de 6 ans.

Les pipettes antiparasitaires pour chiens et chats contiennent des pyréthrinoïdes
Les pipettes antiparasitaires pour chiens et chats contiennent des pyréthrinoïdes

Comment les pesticides pourraient-ils favoriser la survenue de la dépression ?

Si les études d’observation laissent suspecter la responsabilité de l’usage des pesticides dans la survenue de la dépression, elles ne permettent pas d’établir un lien formel de cause à effet. Des données collectées chez l’animal s’ajoutent cependant au faisceau d’indices étayant leur responsabilité.

Des chercheurs ont par exemple exposé de façon chronique des souris adultes à un pesticide de la famille des organophosphates, le méthamidophos. Les animaux ont développé des signes assimilés à de la dépression.

Comme lors de l’étude menée auprès des adolescents équatoriens, les niveaux d’acétylcholinestérase ont diminué sous l’effet du produit chimique. Il s’agit là du principal mécanisme par lequel les pesticides exercent leur impact négatif sur le fonctionnement cérébral. Ce composé est une enzyme qui permet de dégrader un messager chimique du cerveau, l’acétylcholine. Quand son activité est réduite sous l’effet des pesticides, l’acétylcholine s’accumule dans l’espace synaptique qui sépare les neurones. Elle provoque alors une stimulation excessive qui entrave le fonctionnement cérébral normal.

L'acétylcholine s'accumule sous l'effet des pesticides, ce qui entrave le fonctionnement cérébral
L’acétylcholine s’accumule sous l’effet des pesticides, ce qui entrave le fonctionnement cérébral

L’action de la sérotonine, cruciale pour la régulation de l’humeur, est également altérée en cas d’exposition aux pesticides.

Les pesticides affectent par ailleurs la répartition des groupements méthyle sur l’ADN, ce qui pourrait modifier l’expression de gènes et favoriser la survenue de la dépression.

Le risque potentiel des pesticides sur notre bien-être psychologique représente une raison de plus de se tenir à distance de ces produits. En tant que consommateurs, le principal levier direct pour y parvenir est de privilégier les aliments issus de l’agriculture biologique. L’activer permet non seulement de réduire son exposition, mais également de soutenir la filière pour accompagner son essor. Le second levier est de connaitre les techniques nous permettant de retirer un maximum de pesticides présents dans notre alimentation.


Références

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  • Lima CS et al., Exposure to methamidophos at adulthood elicits depressive-like behavior in mice, Neurotoxicology, 2009
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