La vitamine K augmente-t-elle le risque de caillots sanguins ?

Modifié le 14 décembre 2023

Temps de lecture : 8 minutes
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Légumes riches en vitamine K

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La vitamine K joue un rôle essentiel dans la coagulation sanguine, qui nous préserve des pertes de sang excessives en cas de blessure. Pour autant, elle n’initie pas ce phénomène et ne provoque pas la formation de caillots sanguins spontanée, même à haute dose. Seules les personnes prenant certains médicaments anticoagulants doivent éviter les excès de vitamine K.

Le rôle de la vitamine K dans la coagulation sanguine

La vitamine K joue de multiples rôles dans notre organisme, notamment au niveau osseux et cardiovasculaire. Sa première fonction, qui a conduit à son identification au siècle dernier, est de réguler le phénomène de coagulation sanguine.

L’histoire de la découverte de la vitamine de la coagulation

Carl Peter Henrik Dam, prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1943
Carl Peter Henrik Dam, prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1943

La paternité de la découverte de la vitamine K est attribuée à Carl Peter Henrik Dam de l’Institut de biochimie de l’université de Copenhague, à la fin des années 1920.

S’intéressant au métabolisme du cholestérol, le chercheur menait des séries d’investigations où il observait les conséquences d’un régime alimentaire dépourvu de matières grasses chez des poulets. Au cours de ses travaux, il constate avec surprise que les animaux ont tendance à être victimes d’hémorragies spontanées, dès 2 ou 3 semaines de privation. Il parvient à rétablir une coagulation normale en nourrissant ces animaux avec des légumes verts et du foie.

L’hypothèse de l’existence d’une vitamine soluble dans les graisses, régulant la fluidité du sang, est dès lors émise. Baptisée vitamine K (de l’allemand Koagulation), elle sera isolée et décrite chimiquement dans les années suivantes. Le mécanisme d’action de la vitamine K dans la coagulation sanguine est aujourd’hui bien connu.

La vitamine K est une coenzyme qui active certaines protéines

réaction entre la vitamine K et la gamma-glutamyl carboxylase
La vitamine K est indispensable aux réactions biochimiques qui activent certaines protéines

La vitamine K assiste le fonctionnement d’une enzyme présente principalement au niveau du foie, la gamma-glutamyl carboxylase. Celle-ci est chargée de greffer un groupe chimique carboxyle au niveau d’un acide aminé entrant dans la composition de certaines protéines, l’acide glutamique. Il est alors transformé en acide gamma-carboxyglutamique qui possède la capacité de se lier avec du calcium.

La forme de la protéine est alors modifiée, et cette étape est indispensable pour qu’elle puisse accomplir sa fonction biologique au sein de l’organisme. Il existe une quinzaine de protéines dépendantes de cette réaction, et donc de la vitamine K. Certaines sont impliquées dans la coagulation sanguine, d’autres participent au métabolisme du calcium, au cycle de vie des cellules ou à la transmission des messages au sein de celles-ci.

La vitamine K joue un rôle important dans la cascade de coagulation

Le mécanisme de coagulation sanguine permet de faire cesser un saignement rapidement en cas de blessure. Lorsqu’un vaisseau sanguin est endommagé, des plaquettes sanguines viennent s’agglutiner au niveau du site lésé. Elles adhèrent à sa paroi pour commencer à l’obturer.

Des facteurs de coagulation entrent alors en jeu. Dans une cascade de réactions enzymatiques, ils assurent la transformation d’un composé soluble du sang, le fibrinogène, en filaments insolubles de fibrine. Ceux-ci emprisonnent les plaquettes sanguines et permettent la formation d’un caillot sanguin résistant qui colmate efficacement la brèche.

Représentation 3D d'un caillot de sang
A l’issue du mécanisme de la coagulation, le fibrinogène est converti en fibrine qui enchâsse les plaquettes

La vitamine K active certains facteurs de coagulation

Cascade de réactions biochimiques de la coagulation
La vitamine K est impliquée dans l’activation de quatre des treize facteurs de coagulation sanguine

Pas moins de 13 facteurs de coagulation sont activés successivement au cours de l’hémostase, le phénomène qui permet de faire cesser le saignement. La vitamine K est indispensable à l’activation de quatre d’entre eux : le facteur II, également appelé prothrombine, le facteur VII, le facteur IX et le facteur X.

Sans vitamine K, ces composés ne sont pas fonctionnels. Le déficit en vitamine K contrarie ainsi la capacité du sang à coaguler et favorise la survenue des hémorragies.

Cette situation est plus courante chez les nouveau-nés par rapport au reste de la population. En effet, cette vitamine passe difficilement à travers le placenta pour atteindre le fœtus et sa concentration est faible dans le lait maternel. Pour ces raisons, les bébés sont systématiquement supplémentés en vitamine K.

La vitamine K est nécessaire à l’activité de protéines anticoagulantes

Le rôle de la vitamine K n’est pas seulement procoagulant. En effet, elle est aussi nécessaire à l’activation de trois protéines qui tempèrent ce phénomène : les protéines C, S et Z. Un déficit en ces protéines anticoagulantes favorise la formation de caillots sanguins. Ce déficit peut être d’origine génétique, consécutif à une maladie ou à une carence en vitamine K.

Chacune de ces protéines anticoagulantes remplit une fonction spécifique. La protéine C permet d’inactiver les facteurs de coagulation V et VIII, avec l’assistance de la protéine S. La protéine Z inactive quant à elle le facteur de coagulation X. Elles contribuent ainsi à freiner la cascade de réactions menant à la coagulation.

Mécanisme d'action de la protéine Z sur le facteur de coagulation X
La protéine Z (PZ) tempère la coagulation en neutralisant le facteur X

Supplémentation en vitamine K et formation de caillots sanguins

Comme la vitamine K joue un rôle dans le mécanisme de la coagulation sanguine, une idée reçue suggère qu’elle pourrait provoquer l’apparition de caillots sanguins. Elle n’a pourtant aucun fondement scientifique.

Les conséquences parfois fatales de la présence d’un caillot sanguin

La formation de caillots sanguins est salutaire en cas de blessure, mais s’avère délétère lorsqu’elle survient de façon spontanée dans l’organisme. Ces amas solides se déplacent dans le flot sanguin et peuvent venir boucher un vaisseau sanguin : c’est la thrombose. Une thrombose veineuse risque d’entraîner une embolie pulmonaire si le caillot se détache et entrave l’artère pulmonaire. Une crise cardiaque et un AVC peuvent résulter de l’obturation d’une artère par un caillot sanguin au niveau du cœur et du cerveau respectivement.

Représentation 3D d'une thrombose
Lors d’une thrombose, un caillot de sang vient bloquer la circulation sanguine

La vitamine K ne provoque pas la formation spontanée de caillots

Ces caillots sanguins se forment chez des personnes présentant des troubles de la coagulation ou en cas de ralentissement du flux sanguin, provoqué par exemple par une insuffisance cardiaque ou une longue immobilisation.

Si la vitamine K est indispensable à l’activation de certains facteurs de coagulation, elle n’initie pas pour autant le mécanisme de formation du caillot sanguin. Elle permet de disposer d’un stock de ces composés, qui sera utilisé en cas de besoin. La prise de vitamine K ne peut donc pas, dans la population générale, augmenter le risque de thrombose. La vitamine K est en fait un nutriment extrêmement sûr puisque aucune toxicité n’est connue pour ses deux formes naturelles, la vitamine K1 (phylloquinones) et la vitamine K2 (ménaquinones).

La vitamine K n’entraînent pas de problèmes vasculaires, même à forte dose

Certaines situations extrêmes apportent des réponses sur la façon dont l’organisme tolère une exposition à des mégadoses de vitamine K. Un article scientifique relate par exemple l’histoire d’un jeune homme, admis aux urgences après un empoisonnement volontaire à base de raticide. Ces produits destinés à éradiquer les rongeurs contiennent un antagoniste de la vitamine K.

Pour contrer les effets du poison, les médecins lui ont administré une dose très élevée de vitamine K : 300mg par jour dans un premier temps, puis 800mg par jour sur une deuxième période de soins. La dose classique prise dans le cadre d’une supplémentation s’exprime en microgramme, une quantité mille fois inférieure au milligramme. Après 5 mois, le jeune homme se portait parfaitement bien. Cette dose massive n’a pas provoqué de trouble de la coagulation sanguine chez ce patient et n’a présenté aucune toxicité.

Vitamine K et traitement médicamenteux anticoagulant

Si la vitamine K ne peut pas déclencher la formation spontanée de caillots sanguins, les médecins déconseillent généralement de consommer de fortes doses de ce micronutriment lors de la prise de  médicaments d’une famille spécifique d’anticoagulants.

Des médicaments anticoagulants s’opposent à l’action de la vitamine K

Le principe d’action de certains médicaments anticoagulants repose sur une réduction de l’activité de la vitamine K. Dénommés antivitamines K (AVK), ils interviennent au niveau d’une étape particulière de son métabolisme.

Bloquer le recyclage de la vitamine K pour limiter la coagulation

La warfarine inhibe l’action de la vitamine K

Lorsque la vitamine K assiste le fonctionnement de l’enzyme gamma-glutamyl carboxylase, elle perd deux électrons et se retrouve ainsi sous une forme oxydée. Elle n’est alors plus en mesure d’exercer sa fonction.

Pour la régénérer, l’intervention d’une autre enzyme est nécessaire. La vitamine K époxyde réductase lui redonne ses deux électrons perdus, lui permettant d’être de nouveau active.

Cette enzyme est la cible des médicaments antivitamines K comme la warfarine, qui bloquent son action. Après administration de warfarine, l’activité des facteurs de coagulation dépendants de la vitamine K est ainsi réduite de 20 à 40% par rapport à la normale.

Réduire le risque de formation de caillots chez les patients à haut risque

Ce type de médicaments exerce de cette manière un effet anticoagulant, qui réduit le risque de développer des caillots sanguins. Ils sont prescrits aux patients atteints de problèmes cardiaques ou thrombo-emboliques (fibrillation auriculaire, infarctus du myocarde, embolie pulmonaire, thrombose veineuse…) ou équipés de dispositifs spécifiques comme des prothèses de valves cardiaques.

Les recommandations alimentaires radicales pour les patients

Pendant longtemps, les médecins recommandaient aux patients recevant ces traitements d’éviter de consommer de la vitamine K. L’interdiction concernait aussi bien les compléments alimentaires que les aliments riches en ce nutriment, comme les légumes à feuilles vertes et certaines huiles végétales (colza, olive…). Ces conseils étaient motivés par la crainte que des apports en vitamine K ne réduisent l’efficacité des médicaments.

Aliments riches en vitamine K
Les traitements sous anticoagulant de type antivitamine K s’accompagnent souvent de restrictions alimentaires

L’influence des apports en vitamine K en cas de prise d’AVK est floue

Certaines données sèment cependant le doute sur le réel impact de la consommation de vitamine K en cas de traitement par antivitamines K.

Une étude s’est par exemple intéressée aux effets du régime méditerranéen, qui fait la part belle aux aliments riches en vitamine K, sur un indicateur reflétant la qualité de la coagulation sanguine. Elle a été menée sur un échantillon important de patients recevant ce type de médicaments au long cours en raison d’un trouble du rythme cardiaque. Ces 553 personnes ont été suivies environ 30 mois. Aucune différence dans la capacité de coagulation n’a été constatée selon le niveau d’adhésion de ces personnes au régime méditerranéen, suggérant une absence d’influence des apports alimentaires en vitamine K.

Éviter les apports fluctuants de vitamine K plutôt que de s’en priver

Selon les conclusions d’une méta-analyse récente, seuls les apports élevés de vitamine K, de plus de 150 μg/jour, exerceraient une influence sur la coagulation sanguine chez les personnes recevant un antivitamine K. Ce niveau est bien au-dessus des recommandations officielles, établies à 70μg  par jour pour les adultes par les autorités de santé européenne.

Les chercheurs qui ont conduit cette étude suggèrent qu’il serait plus adapté de maintenir une stabilité d’apports en vitamine K plutôt que de se priver complètement de celle-ci. Cette stratégie permet d’éviter les conséquences néfastes d’une carence en vitamine K sur la santé osseuse et cardiovasculaire.

Des données indiquent de plus qu’une supplémentation en vitamine K pourrait au contraire participer à maîtriser les phénomènes de coagulation chez les personnes recevant ces traitements, même si la question n’est pas définitivement tranchée à ce jour.

Il existe par ailleurs des médicaments anticoagulants qui n’interfèrent pas avec le métabolisme de la vitamine K comme le rivaroxaban, le dabigatran ou l’apixaban. Ils permettent ainsi de bénéficier d’un effet protecteur contre la formation de caillots sanguins sans se priver des bienfaits de la vitamine K.

Pilules d'apixaban
Comme le rivaroxaban et le dabigatran, l’apixaban est un anticoagulant sans interaction avec la vitamine K

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