Mélatonine : un antidouleur méconnu

Modifié le 14 décembre 2023

Temps de lecture : 10 minutes
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La mélatonine est un analgésique efficace

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Toujours présentée comme l’hormone du sommeil, la mélatonine a pourtant beaucoup d’autres effets sur la santé. Celui qui est probablement le plus documenté, le plus impressionnant et le plus utile est son effet antidouleur, notamment contre les douleurs neuropathiques.

Découverte du rôle de la mélatonine dans le processus de la douleur

Tout a commencé à la fin des années 80. Le Pr Huang Zi-Qiang, chercheur au Département de pharmacologie de l’université Fujian (Chine), et le Pr Ying Shui-Wang, chercheur en sciences biomédicales expatrié à l’université McMaster (Canada), réalisent ensemble des travaux sur des souris de laboratoire. Leur objectif : démontrer que la douleur est une sensation dont l’intensité peut varier fortement au cours de la journée.

La sensibilité à la douleur évolue au cours de la journée

Avec fort peu d’empathie animale, nos deux chercheurs soumettent des souris à diverses tortures : application de plaque chauffante, injection d’acide acétique, décharges électriques dans les membres. Ces tortures insoutenables seront poursuivies pendant des semaines et permettront de constater que la sensibilité à la douleur varie fortement selon le moment de la journée : plus faible la nuit, la sensibilité à la douleur redevient plus élevée en journée. À partir de ce moment, le Pr Huang et le Pr Ying émettent l’hypothèse que c’est la mélatonine qui serait responsable de cette variation de la sensibilité à la douleur.

L’hypothèse est plutôt novatrice car la mélatonine est une hormone produite par le cerveau au niveau de la glande pinéale dont le rôle le plus connu est celui de moduler le cycle veille-sommeil. Les effets les plus connus de la mélatonine sont ceux de son impact sur le sommeil : elle est très efficace pour récupérer rapidement d’un « jet lag » ou en cas de troubles du sommeil légers, et peut être prescrite par un médecin dans cette indication.

La production de mélatonine augmente le soir et pendant la nuit, contribuant à l’endormissement et au maintien du sommeil. En journée, la lumière extérieure frappe la rétine dans notre œil, indiquant au cerveau qu’il faut stopper la production de mélatonine.

Des observations consolidées par plusieurs études

Pour savoir si leur hypothèse était correcte, les chercheurs ont testé la sensibilité à la douleur des souris après de fortes injections de mélatonine ou après ablation de la glande pinéale (la glande du cerveau qui produit naturellement la mélatonine).

Résultat : la mélatonine a un puissant effet antidouleur. Ces résultats nouveaux seront reproduits par d’autres équipes de chercheurs au cours des années 2000. Une question demeurait alors : la mélatonine est-elle efficace contre la douleur chez l’homme ?

La mélatonine serait un antidouleur aux effets proches de la morphine

L’une des premières études humaines fut menée en 2005 par des chercheurs singapouriens sur une quarantaine d’adultes touchés par le syndrome du côlon irritable, qui se manifeste par des douleurs abdominales et des troubles du transit. La moitié des malades a reçu un complément alimentaire de mélatonine (3 mg) avant le coucher et l’autre moitié a reçu un placebo. Au bout de deux semaines, ceux qui avaient reçu l’hormone ont constaté une nette diminution des douleurs abdominales.

Les douleurs contre lesquelles la mélatonine serait efficace

Par la suite, différentes équipes de recherche ont testé les effets antidouleur de la mélatonine. Ils ont toujours obtenu des résultats spectaculaires :

  • Pour les femmes opérées d’une hystérectomie (ablation de l’utérus), la prise de 5 mg de mélatonine avant l’opération est aussi efficace que celle de clonidine, un antidouleur utilisé par les anesthésistes, et diminue de plus de 30 % les besoins en morphine après la chirurgie.
  • Pour les hommes opérés d’une prostatectomie (ablation de la prostate), la prise de 6 mg de mélatonine la nuit précédant l’opération, puis 1 heure avant l’opération, diminue fortement les douleurs et supprime souvent le besoin de morphine.
  • Pour les enfants nés prématurés nécessitant une intubation endotrachéale (introduction d’un tube dans la gorge pour assurer la respiration), l’injection de mélatonine diminue les douleurs et l’inflammation.
  • Contre les douleurs de la fibromyalgie, la mélatonine à la dose de 10 mg est aussi efficace que l’amitriptyline (Laroxyl).
  • En cas d’endométriose, la mélatonine diminue fortement les douleurs et améliore le sommeil, à la dose de 10 mg.
  • Dans les douleurs temporo-mandibulaires (extrémité de la mâchoire), 5 mg de mélatonine diminuent la douleur de 39 % et l’utilisation de médicaments antidouleur de 66 %.
  • En cas de chirurgie de la cataracte, 10 mg de mélatonine pris 1 h 30 avant l’opération diminuent nettement l’anxiété et la douleur, facilitant le travail du chirurgien.

En octobre 2017, des chercheurs Chinois ont publié une méta-analyse (synthèse et analyse de toutes les études scientifiques déjà publiées sur le sujet) pour objectiver les liens entre la supplémentation en mélatonine et les douleurs. Et voici ce qu’ils ont conclu :

“Les données montrent que la mélatonine réduit significativement l’intensité de la douleur. De plus, l’administration de mélatonine réduit aussi le besoin en médicaments antidouleur.”

Chaojuan Zhu et al.

Comment prendre la mélatonine pour profiter de son effet antidouleur ?

Pour lutter contre les douleurs, la mélatonine se prend de la même manière que pour réguler le sommeil : 30 minutes à une heure avant le coucher. Seule différence : les doses utilisées, bien plus importantes pour l’effet antidouleur.

Les mécanismes antalgiques de la mélatonine

À première vue, les effets de la mélatonine peuvent sembler miraculeux, difficiles à croire. Comment une simple hormone du sommeil pourrait-elle être responsable de tels effets ? L’explication est simple : la mélatonine est capable d’activer les récepteurs aux opiacés, c’est-à-dire les molécules dérivées de la morphine.

Plus surprenant : des chercheurs allemands ont montré que la mélatonine agissait en tant que neuromodulateur au niveau de la moelle épinière. En pratique, ce que cela signifie est très simple : la mélatonine agit comme la morphine, et si elle est prise avec la morphine, elle renforce son action tout en diminuant ses effets secondaires !

La mélatonine est donc efficace contre toutes les douleurs liées à la chirurgie et contre les douleurs les plus récalcitrantes : douleurs neuropathiques (diabète, ablation d’un membre), douleurs du cancer et de la chimiothérapie, endométriose ou fibromyalgie, etc. Pour couronner le tout, elle peut s’utiliser en conjonction avec les traitements antidouleur classiques. La mélatonine n’a qu’un seul problème : en France, les dosages maximums autorisés pour utilisation dans des compléments alimentaires sont inférieurs aux dosages efficaces utilisés dans les études sur les douleurs.

Le statut particulier de la mélatonine en France

Les compléments alimentaires doivent contenir moins de 2 mg de mélatonine par dose. Plus curieux encore : cette limitation est quasiment exclusive à la France : la plupart des pays du monde autorisent l’utilisation de mélatonine à des doses plus élevées. J’ai mené l’enquête pour essayer de comprendre pourquoi.

La mélatonine est en vente libre depuis plus de 10 ans dans de nombreux pays du monde et notamment aux États-Unis. En France, c’est en septembre 2011 que son histoire prend un nouveau tournant. Xavier Bertrand, à l’époque ministre de la Santé, décide en effet de classer la mélatonine dans la liste II des substances vénéneuses. Cette liste contient par définition des molécules dangereuses, des drogues, ou des médicaments aux effets secondaires potentiellement graves. Cet ajout par le ministre s’est fait par « arrêté », c’est-à-dire par décision unilatérale et non concertée.

Mélatonine : l’exception française

La conséquence est immédiate : la mélatonine est interdite à la vente libre dès lors que la concentration est de 2 mg ou plus. À partir de ces concentrations, elle devient un médicament, uniquement vendu sur ordonnance. Hasard ou pas, on ne peut que constater que cette limitation à 2 mg se trouve juste à la limite des doses efficaces contre les douleurs : au moins 3 mg de mélatonine est nécessaire pour obtenir un effet antidouleur.

Pensant que nous sommes dans un État de droit, plusieurs laboratoires de compléments alimentaires, dont Arkopharma, décident de s’allier et de porter plainte auprès du Conseil d’État pour abus de pouvoir, dans le but de faire suspendre l’arrêté en question.

En mars 2014 la haute juridiction rend son jugement : elle estime que le ministre « n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que la mélatonine devait être regardée comme une substance présentant pour la santé des risques directs ou indirects. » La juridiction affirme également que le ministre a produit des éléments démontrant que « l’absorption de mélatonine peut aboutir à des effets indésirables graves. » Voilà qui a de quoi inquiéter !

À la recherche des effets secondaires de la mélatonine

J’ai appris l’existence de ce jugement début 2015. J’ai donc décidé à cette époque d’en savoir plus. Après tout, il est vrai qu’un produit naturel peut aussi présenter des dangers s’il est mal utilisé. La première chose que j’ai faite est donc de lire la liste des effets secondaires de la mélatonine vendue en France en tant que médicament (sous le nom de CIRCADIN, dosée à 2 mg). Et la notice est impressionnante : plus de 50 effets secondaires seraient provoqués par la mélatonine ! Voici environ la moitié des effets secondaires mentionnés :

« Céphalées, rhinopharyngite, mal de dos et arthralgies, herpès zoster, angine de poitrine, palpitations, hypertriglycéridémie, hypocalcémie, hyponatrémie, irritabilité, nervosité, impatience, insomnie, rêves anormaux, anxiété, troubles de l’humeur, agressivité, agitation, pleurs, symptômes de stress, désorientation, réveil tôt le matin, augmentation de la libido, humeur dépressive, dépression, migraine, léthargie, hyperactivité psychomotrice, sensations vertigineuses, somnolence, syncope, altération de la mémoire, baisse de l’acuité visuelle, vue trouble, larmoiement accru, vertige positionnel, vertige, reflux gastro-œsophagien, troubles gastro-intestinaux, cloques au niveau de la muqueuse buccale, ulcération de la langue, gêne gastro-intestinale, vomissements, bruits intestinaux anormaux, flatulence, hypersécrétion salivaire, halitose, gêne abdominale, trouble gastrique, gastrite, dermatite, sueurs nocturnes, prurit, rash, prurit généralisé, sécheresse cutanée, fatigue, douleur, soif. »

Les effets secondaires de la mélatonine sont comparables au placebo

Comment expliquer qu’un produit si dangereux soit en vente libre partout à travers le monde ? Pour le savoir, j’ai consulté le site des agences européennes et américaines du médicament, mais, aussi curieusement que cela puisse paraître, ces deux agences ne listent aucun effet secondaire lié à la prise de mélatonine. Pire, l’agence européenne signale, pour le même médicament vendu en France, que « les effets secondaires les plus fréquents sont les maux de tête, la fatigue et les douleurs dorsales, mais de manière comparable au groupe prenant le placebo ». Autrement dit : les rares effets secondaires observés ne sont pas liés à la mélatonine. De plus, la dose toxique de mélatonine serait très élevée : plus de 160 gr par jour pour un adulte de 70 kg. Alors, où sont donc les graves effets secondaires mentionnés par le ministre ?

Contactée par mes soins la même année pour en savoir plus sur ces dangers, l’ANSM (Agence chargée de la sécurité du médicament en France) n’est pas parvenue à me répondre. Après plusieurs échanges par mail et par téléphone et de nombreuses recherches, le service de presse n’est pas parvenu à retrouver les cas ayant permis de lister ces effets secondaires graves provoqués par la prise de mélatonine ; et encore moins de la source scientifique qui les aurait découverts.

Quel avenir pour la mélatonine en France ?

Aujourd’hui la situation ne s’arrange pas pour la mélatonine : récemment, plusieurs articles alarmants étaient diffusés dans les journaux après un communiqué de presse de l’ANSES (Agence de sécurité sanitaire). Leurs titres : “Prudence sur la prise de compléments alimentaires à la mélatonine” (Le Figaro Santé) ou “Compléments alimentaires à la mélatonine : l’ANSES alerte sur les risques” (Sciences et Avenir) ou encore “Mise en garde sur les risques liés à la prise de mélatonine pour mieux dormir” (Le Monde). En cause ? Des signalements d’effets indésirables : “maux de tête, somnolences, cauchemars, tremblements, nausées ou encore vomissements” (je cite).

Là encore, on ne retrouve donc toujours pas les graves effets secondaires mentionnés sur la notice de la mélatonine vendue en tant que médicament. Selon les articles des journaux, ces mises en garde sont justifiées par la réception par leurs services d’environ 90 cas d’effets secondaires… Rapportés entre 2009 et 2017 ! Mais en réalité le rapport de l’ANSES indique que seuls 19 cas sur 90 sont suggestifs d’un rôle de responsabilité directe de la mélatonine. De plus, les personnes qui se sont plaints d’effets secondaires prenaient simultanément d’autres médicaments et suppléments…

Pour bien comprendre l’ironie de la situation, il faut savoir que d’après la filière professionnelle (Synadiet), il s’est vendu sur la même période, environ 10 millions de boîtes de compléments alimentaires de mélatonine. Si on considère ces 19 cas, il y aurait donc eu 0,00017 % d’effets secondaires liés à la prise. Pire, pour le Pr Irène Margaritis, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Anses, il n’est pas certain que tous ces effets secondaires sont bien liés à la prise de mélatonine mais, selon elle : “Ce qui compte, c’est de disposer de quelques cas bien documentés, avec de fortes probabilités de relation entre le complément alimentaire et les effets indésirables, comme c’est le cas ici.

Si une telle “rigueur” était appliquée aux médicaments, peut-être aurions-nous moins de scandales sanitaires… Toujours est-il qu’obtenir de la mélatonine à doses efficaces contre les douleurs est impossible en France. La plupart des malades passent donc commande par internet sur des sites étrangers pour pouvoir en commander à des doses situées entre 10 et 20 mg; ce qui, en terme de santé publique reste bien plus problématique…


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