Longévité : comprendre le rôle joué par la taurine

Modifié le 19 décembre 2023

Temps de lecture : 9 minutes
()
Un homme au premier plan tient la main d'une femme, en extérieur dans un parc.

julienvenesson.fr ce n’est pas que des formations professionnelles en nutrition, la sélection des meilleurs livres et des consultations avec des nutritionnistes, c’est aussi les réponses à vos questions dans les articles du blog. Bonne lecture !

Vivre plus longtemps et en meilleure santé serait-il plus accessible que nous l’imaginons ? Un composé commun de notre organisme, la taurine, semble détenir les clefs pour lutter contre les mécanismes impliqués dans le vieillissement. Elle pourrait représenter un moyen d’améliorer la longévité sans recourir à des interventions plus radicales, comme la restriction calorique, ou à des suppléments alimentaires coûteux et insuffisamment étudiés chez l’Homme.

Un acteur essentiel de l’équilibre qui se raréfie au cours du temps

La taurine, ou acide 2 aminoéthane sulfonique, est un dérivé d’acide aminé naturellement présent dans notre corps. L’organisme d’un adulte de 70kg contient environ 70g de taurine, concentrée dans divers organes comme le cœur, la rétine, les muscles squelettiques et le cerveau.

De multiples fonctions au sein de l’organisme

La taurine remplit des fonctions très diverses. Elle contribue à l’élaboration des sels biliaires au niveau du foie, stabilise les membranes des cellules et ajuste leur volume. Elle régule les mouvements du calcium, la sécrétion des neurotransmetteurs et des messagers inflammatoires. Elle participe au développement du cerveau et de la rétine, contrôle la tension artérielle et le métabolisme du glucose. La taurine est dotée de propriétés antioxydantes, qui neutralisent les effets du stress oxydatif.

Les effets du temps sur les niveaux de taurine

La quantité de taurine de l’organisme a tendance à diminuer au cours du vieillissement. Des chercheurs ont par exemple étudié le contenu en taurine de la peau des rongeurs. Ils ont constaté une raréfaction du composé dans l’épiderme et le derme des animaux. Une autre équipe s’est intéressée à son évolution dans trois régions différentes du cerveau chez le rat. Au sein du cervelet, une baisse de sa concentration a été observée, alors que les taux se sont maintenus au sein du cortex cérébral et de l’hippocampe.

Graphique indiquant l'évolution de la concentration sanguine en taurine en fonction du vieillissement.
La concentration sanguine en taurine décline au fil des années.

Une étude de grande ampleur publiée en juin 2023, impliquant des chercheurs de plusieurs pays et dirigée par Parminder Singh, a montré une baisse drastique de la concentration sanguine en taurine au cours du vieillissement. Chez des singes de 15 ans, elle est abaissée de 85% par rapport aux jeunes de 5 ans. Chez la souris, le taux sanguin passe de 132ng/ml à l’âge de 4 semaines à 40ng/ml à 56 semaines.

L’être humain n’est pas épargné par ce déclin. En comparaison aux plus jeunes, la concentration sanguine chute de plus de 80% chez les personnes âgées.

Baisse du taux sanguin de taurine et maladies liées à l’âge

Plusieurs travaux ont mis en évidence un lien entre les niveaux sanguins de taurine et la présence de diverses pathologies associées au vieillissement.

Une étude a montré que des patients atteints de diabète de type 2 depuis une dizaine d’années présentent un taux sanguin de taurine de 0,6mmol/L. Il est en comparaison de 0,8mmol/L chez les personnes en bonne santé. Les niveaux sanguins de taurine sont également abaissés chez les personnes souffrant de la maladie de Parkinson ; plus ils sont bas, plus les symptômes moteurs sont intenses. Chez des malades d’Alzheimer, une réduction de 23 à 40% de la concentration sanguine en taurine a également pu être été observée. Un faible taux sanguin de taurine a par ailleurs été associé à un risque accru de démence.

La taurine est garante d’un vieillissement harmonieux

Lorsqu’un composé se raréfie dans l’organisme au cours du vieillissement, il est légitime de se demander si ce phénomène a sa part de responsabilité dans la survenue des signes qui l’accompagnent. Le projet recherche mené par Parminder Singh n’a ainsi pas seulement consisté à constater la baisse des réserves de taurine dans les organismes vieillissants. L’équipe a mené de nombreuses expériences, impliquant plusieurs espèces animales, pour déterminer si la restauration de ces stocks peut avoir un impact favorable sur le vieillissement.

Allongement de la durée de vie des souris et des vers

Une partie des travaux a été effectuée sur des souris, car ces animaux ont une durée de vie suffisamment courte pour permettre une observation rapide des effets d’une intervention donnée. Un groupe de souris a commencé à recevoir une supplémentation orale en taurine à l’âge de 14 mois, ce qui correspond au milieu de vie pour cette espèce. Elles ont reçu 1000mg de taurine par kg de poids corporel, soit 30mg pour une souris pesant 30g. Cette dose n’a pas été choisie au hasard : elle correspond à la quantité de taurine permettant d’élever la concentration sanguine au niveau de celle des jeunes animaux. L’expérience a été couronnée de succès. La supplémentation est parvenue à prolonger la vie de ces souris, de 10 à 12% par rapport à leurs congénères du groupe placebo. L’équipe a ensuite testé les effets de la taurine chez des espèces plus rudimentaires. L’approche s’est révélée efficace chez des vers nématodes, avec une longévité augmentée de 10 à 23%, mais est restée sans effet chez des levures.

Des souris âgées en meilleure santé

Suite à de multiples analyses visant à évaluer les effets de la taurine sur le vieillissement des souris supplémentées, les chercheurs ont découvert que la molécule allongeait l’espérance de vie en bonne santé. Les résultats ont été significatifs, montrant que la taurine s’oppose à la prise de poids liée à l’âge d’environ 10%, améliore la tolérance au glucose et la sensibilité à l’insuline. Le temps de transit, qui a tendance à augmenter avec l’âge, était significativement réduit chez les souris traitées par la taurine. De plus, leur fonction immunitaire a été optimisée.

Les bienfaits de la taurine ne s’arrêtent pas là. Des améliorations notables ont été observées au niveau de la masse osseuse, avec une augmentation de celle-ci au niveau de la colonne vertébrale et du fémur. Les capacités d’endurance, la coordination et la force des souris traitées ont été accrues, tandis que leurs niveaux d’anxiété ont été atténués.

Chez un sous-groupe de souris ayant subi une ménopause artificielle, la taurine a inversé l’ostéoporose et la prise de poids liées à ce bouleversement hormonal.

De premiers bienfaits observés chez des singes

Un protocole similaire de supplémentation a été entrepris chez des singes rhésus de 15 ans, un âge qui correspond à 45-50 ans chez l’homme. Les primates qui bénéficié de la taurine pendant 6 mois ont accumulé 750g de poids corporel en moins que les autres animaux. De plus, leur glycémie à jeun a enregistré une baisse significative de 19% et leur santé hépatique s’est améliorée.

Au niveau squelettique, des améliorations notables ont été constatées au niveau des lombaires et des membres inférieurs, avec une augmentation de la densité osseuse. La concentration sanguine d’ostéocalcine, un marqueur de la formation osseuse, a augmenté, tandis que les marqueurs de résorption osseuse ont diminué.

L’intervention continue, et il faudra patienter quelques années pour savoir si la supplémentation en taurine prolonge la vie de ces primates comme elle l’a fait pour les souris.

La taurine exerce une protection contre les maladies liées à l’âge

Nous ne disposons bien sûr pas de travaux équivalents pour évaluer les effets de la taurine sur la longévité humaine. Toutefois, bon nombre d’études suggèrent que ce composé pourrait nous aider à vieillir en bonne forme. Le Japon est l’un des pays où l’espérance de vie est la meilleure. Parmi les divers facteurs qui contribuent à cette longévité exceptionnelle, la taurine pourrait occuper une place importante. En effet, le régime alimentaire traditionnel du pays, riche en produits de la mer, permet aux habitants de disposer de niveaux importants de ce composé.

Une étude épidémiologique exploitant les données de populations vivant dans 16 pays différents a été menée par des chercheurs de l’université de Kyoto. Elle s’est penchée sur le lien entre les niveaux d’excrétion de taurine – reflet des apports alimentaires – et le risque de décès lié à une cardiopathie ischémique. Il s’agit de maladies du cœur causées par une réduction ou une obstruction du flux sanguin vers le muscle cardiaque, comme la crise cardiaque. Une forte relation inverse a été observée : au sein des populations présentant les apports en taurine les plus faibles – notamment d’Europe et d’Amérique du Nord – le risque de décéder de ces pathologies est plus important.

Des niveaux élevés d’excrétion de taurine ont également été liés à une réduction du risque de décès par accident vasculaire cérébral et à une moindre prévalence de facteurs de risque cardiovasculaire tels que le surpoids ou l’hypertension. La supplémentation en taurine permet d’ailleurs de lutter contre l’hypertension ou même le diabète de type2.

4 assiettes blanches disposées sur une table en bois contiennent des produits de la mer.
La cuisine japonaise est abondante en poissons, une excellente source de taurine.

Comment la taurine peut-elle améliorer l’espérance de vie ?

Les bienfaits de la taurine sur la longévité reposent sur plusieurs mécanismes cellulaires, comme l’ont montré les travaux de l’équipe de Parminder Singh.

Prévention de la sénescence cellulaire

La taurine permet de lutter contre la sénescence cellulaire. Ce phénomène irréversible, qui correspond à l’arrêt de la prolifération des cellules, est un facteur majeur contribuant au vieillissement des organismes. Les cellules sénescentes cessent de contribuer aux fonctions normales des tissus et libèrent des substances inflammatoires favorisant le développement des maladies liées à l’âge. La taurine contre ce phénomène en maintenant l’activité des enzymes régulatrices du cycle cellulaire, les kinases cycline dépendantes.

Les chercheurs ont étudié une souche de souris dépourvue du transporteur de taurine. Chez ces animaux, la taurine ne peut pas pénétrer au cœur des cellules pour remplir ses fonctions. Lors de l’examen de différents tissus – provenant des os, des muscles, du cerveau, de la graisse et du foie – la présence de nombreuses cellules sénescentes a pu être constatée. L’équipe a également montré que l’ajout de taurine à des cultures de cellules osseuses et de neurones exerce un effet protecteur lorsqu’elles sont exposées à des situations déclenchant leur sénescence.

Préservation de l’intégrité de l’ADN

Plusieurs facteurs peuvent conduire à la sénescence des cellules. L’un d’eux est la survenue de dommages à l’ADN, qui s’accumulent au cours du vieillissement. L’administration de taurine à des souris âgées permet de réduire la concentration sanguine en 8-hydroxy-2-désoxyguanosine, qui en est un témoin facilement quantifiable.

La taurine exerce un autre type de bienfait sur l’ADN, au niveau des modifications épigénétiques qui surviennent au cours du vieillissement. L’ADN et les protéines qui permettent de l’enrouler, les histones, comportent des groupements chimiques méthyle. Leur répartition joue un rôle important, car elle affecte la manière dont les gènes peuvent ou non entrer en action. Chez les souris âgées traitées avec la taurine, le motif de répartition de ces groupes chimiques, étudié au niveau des muscles et du cortex cérébral, est comparable à celui de leurs jeunes congénères.

Atténuation de l’inflammation

La taurine apparaît en mesure de contrer « l’inflammaging », cette situation qui désigne l’augmentation des phénomènes inflammatoires chez les personnes âgées. Si les souris d’âge moyen présentent une concentration sanguine accrue en plusieurs messagers inflammatoires comme le TNFα, IL-17α ou l’IL-1α par rapport aux plus jeunes, celles ayant reçu la taurine sont épargnées par ce phénomène.

Optimisation de la production d’énergie cellulaire

La taurine joue enfin un rôle essentiel au sein des mitochondries, les organites cellulaires responsables de la production d’énergie. Au cours du vieillissement, la formation de nouvelles mitochondries est altérée, et leur fonctionnement devient moins efficace. Elles produisent ainsi une quantité accrue d’espèces réactives de l’oxygène (les « radicaux libres »). Chez les souris d’âge moyen supplémentées en taurine, leur quantité est plus faible que chez leurs congénères. Les dommages qu’elles provoquent sur les lipides et protéines constituant les cellules, évalués sur des échantillons de foie, sont moins importants grâce à la supplémentation. Dans les graisses brunes, une élévation de la quantité de Pgc1α a été observée. Ce composé est un co-activateur qui contribue à stimuler l’activité des gènes impliqués dans la formation des mitochondries. La taurine provoque également une augmentation de la production d’une protéine assurant la dissipation de l’énergie sous forme de chaleur au sein de ces organites, l’UCP1.

La taurine est au cœur de la fonction mitochondriale

Des travaux ont récemment synthétisé la multitude d’effets exercés par la taurine sur les mitochondries.

La taurine est tout d’abord un constituant des ARN de transfert présents au sein de la mitochondrie. Elle est ainsi nécessaire pour que la production des protéines, à partir de l’ADN présent au sein de ce compartiment cellulaire, se déroule correctement. Il s’agit notamment de la ND5, ND6 et du cytochrome c impliqués dans la production d’énergie. La taurine atténue par ailleurs les niveaux de stress oxydatif au sein des mitochondries de manière directe, en stimulant la production d’une enzyme antioxydante, la superoxyde dismutase (SOD). Elle prévient l’excès de calcium au sein de l’organite, qui peut s’avérer fatal à la cellule.

Les effets de la taurine se poursuivent dans le cytoplasme de la cellule, où elle neutralise l’acide hypochloreux. Celui-ci provient du peroxyde d’hydrogène (H2O2), une espèce réactive de l’oxygène produite en même temps que l’ATP par la mitochondrie. La N-chlorotaurine qui provient de la conjugaison avec l’acide hypochloreux active un facteur de transcription, le Nrf2 qui stimule l’activité de gènes impliqués dans les défenses antioxydantes. Enfin, la taurine empêche la formation de l’apoptosome, une structure moléculaire qui active une cascade d’enzymes appelées caspases à l’origine de la destruction de la cellule.

Schéma représentant les différentes actions protectrices de la taurine sur les mitochondries.
La taurine optimise le fonctionnement des mitochondries selon plusieurs mécanismes protecteurs.

Comment améliorer ses niveaux de taurine ?

Pour profiter des bienfaits de la taurine contre le vieillissement, il est indispensable de veiller à obtenir de bons apports par l’alimentation ou la complémentation. En effet, notre organisme ne peut produire qu’une quantité limitée de taurine à partir de la méthionine et de la cystéine. Cette synthèse, qui se déroule principalement au niveau du foie, requiert la présence de vitamine B6.

Sources alimentaires

La taurine est presque exclusivement présente dans les produits d’origine animale. La viande, le poisson et les produits de la mer sont les principaux contributeurs à nos apports alimentaires. Les produits laitiers et les œufs en contiennent des teneurs plus modestes. Elle est absente, ou seulement présente à l’état de trace, dans les végétaux et les champignons. La taurine est un ingrédient des boissons énergisantes, mais leur forte teneur en sucres les disqualifie pour en représenter une source adaptée.

Une alimentation omnivore fournit entre 123 et 178mg de taurine par jour, tandis qu’un régime végétarien n’en apporte que 17mg.

AlimentsTeneur en taurine
(mg/100g)
Poulet378
Agneau171
Porc118
Bœuf50 à 100
Poulpe390
Thon332
Crabe278
Sole256
Crevettes143
Carpe90
Contenu en taurine de quelques viandes, poissons et produits de la mer.

Supplémentation

Il est cependant difficile d’obtenir par l’alimentation les doses de taurine qui ont fait preuve de bénéfices sur la santé humaine lors des essais cliniques menés sur ce composé.

Par exemple, pour obtenir une réduction des niveaux de malondialdéhyde – témoins de l’oxydation des lipides – lors d’une étude conduite auprès de 24 femmes de 55 à 70 ans, une dose de 1,5g par jour a été utilisée.

Des dosages quotidiens plus importants, jusqu’à 6g/jour selon l’EFSA, peuvent être employés. Ils sont généralement bien tolérés.

Avez-vous aimé cet article ?



Autres articles

Vous aimeriez peut-être aussi ?
separation_couleur1