Qu’est-ce que les polyamines et quels sont leurs effets sur la santé ?

Modifié le 10 janvier 2024

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Bols contenant divers aliments : olives, lentilles corail, amandes, haricots rouge, brocolis.

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Parmi les molécules actives présentes dans les aliments que nous consommons au quotidien, les polyamines ne sont pas les plus populaires. Elles remplissent pourtant de nombreuses fonctions au sein des êtres vivants et contribuent à notre bien-être quotidien. Leur équilibre est cependant menacé dans certaines circonstances, avec des effets délétères sur la santé.

Des composés naturels communs

Les polyamines représentent une classe de petites molécules organiques présentes chez divers organismes vivants, des bactéries aux plantes en passant par les animaux. Les principales polyamines rencontrées chez l’être humain sont la spermidine, la spermine, la putrescine et la cadavérine. Le nom évocateur des deux premières fait référence à leur découverte initiale dans la semence masculine, tandis que celui des deux dernières est lié à leur présence abondante dans les tissus en décomposition.

Fonctions biologiques

L’ensemble des cellules de notre corps contient des polyamines, qui jouent un rôle crucial dans de nombreux processus. Elles possèdent dans leur structure chimique un nombre variable de fonctions amines de charge positive (NH3+), déterminant pour leurs fonctions biologiques. La cadavérine et la putrescine en possèdent deux, la spermidine trois et la spermine quatre. Elles interagissent ainsi avec les molécules chargées négativement comme l’ADN, l’ARN et des protéines. Elles régulent de cette manière l’expression génique, la croissance et à la différenciation cellulaire, ou encore le phénomène d’autophagie.

Représentation de la structure chimique de la spermine, spermidine et putrescine.
Structure chimique des polyamines, d’après N.A. Sagar et al.

Trois origines distinctes

Les polyamines contenues dans notre organisme émanent de trois sources différentes. Elles proviennent tout d’abord d’une synthèse interne, se déroulant au sein des cellules. Celle-ci a pour point de départ des acides aminés – arginine, lysine et méthionine – qui vont servir de substrats à leur production.

La première étape consiste en la transformation de l’arginine en ornithine. Sous l’effet d’une enzyme, l’ornithine décarboxylase, cette dernière donne naissance à la putrescine. Elle est alors convertie en spermidine. La spermidine peut à son tour être transformée en spermine, un phénomène réversible.

Une partie de ces transformations chimiques correspond à des réactions de méthylation. La méthionine intervient à ce niveau, car elle fournit les groupements chimiques méthyles indispensables à leur déroulement. La cadavérine est quant à elle formée de manière indépendante, à partir de la lysine.

Schéma des voies de biosynthèse des polyamines au sein des cellules.
Biosynthèse des polyamines au sein des cellules, d’après A Kulkarni et al.

Sources alimentaires

Les aliments d’origine végétale et animale représentent une source externe de polyamines. Côté végétaux, elles sont présentes en bonne quantité dans les agrumes, les poires, les petits pois, le poivron vert, les pommes de terre et les légumineuses. Les aliments à base de soja en possèdent des teneurs élevées. Une étude basée sur la consommation de 50 à 100g de natto, un produit fermenté dérivé de cette légumineuse, chaque jour pendant 2 mois a mis en évidence une multiplication par 1,4 de la concentration sanguine en spermine.

La teneur en polyamines est toutefois très variable dans ces aliments. Elle évolue sous l’influence de nombreux facteurs comme l’origine, les conditions de croissance, la période de récolte et le mode de stockage. Elle augmente lorsque les plantes ont été exposées à différents stress (températures trop basses ou élevées, sécheresse…) lors de la culture.

Elle l’est tout autant dans les aliments d’origine animale. De façon globale, la viande en est la meilleure source. Certains fromages affinés en contiennent des teneurs exceptionnelles, qui atteignent par exemple 20mg/100 g pour le cheddar.

Voici le top 12 des sources alimentaires de polyamines :

Aliments riches en putrescinePortion en grammesContenu en putrescine
(mg/portion)
Jus de pamplemousse, frais20019,6
Jus d’orange20017,0
Choucroute8014,6
Orange11014,0
Crabe, en conserve759,2
Maïs1005,1
Petits pois1004,6
Poire1003,0
Soja, cuit1901,70
Pomme de terre, cuite1501,68
Poivron vert301,64
Sauce soja181,60
Aliments riches en spermidinePortion en grammesContenu en spermidine
(mg/portion)
Soja, cuit1909,7
Petits pois1409,1
Poire1256,6
Soupe de lentilles2505,5
Champignons504,4
Haricots rouges1903,7
Brocoli1003,6
Chou-fleur1003,0
Filet de poulet1252,2
Popcorn502,1
Fromage202,0
Pommes de terre1501,8
Aliments riches en sperminePortion en grammesContenu en spermine
(mg/portion)
Foie (bœuf)12519,7
Petits pois1407,3
Porc (jambon)1256,3
Poulet1255,6
Soja, cuit1904,0
Steak de bœuf1253,9
Porc1253,8
Poire1253,5
Fromage1003,0
Thon1252,7
Blanc de poulet1252,3
Soupe de lentilles2501,85

Une étude a évalué les niveaux d’apports alimentaires quotidiens dans différentes régions du monde. En Europe, on consomme en moyenne 12,6 mg de spermidine, 18,6 mg de putrescine et 11,1mg de spermine par jour, soit un total d’un peu plus de 40mg par jour.

Production par le microbiote

La dernière source de polyamines provient d’une synthèse par des bactéries appartenant au microbiote intestinal, comme les bifidobactéries. Elles sont ensuite transférées vers la circulation sanguine à travers la muqueuse du côlon puis distribuée dans l’ensemble de l’organisme.

Cette production varie selon la nature de l’alimentation. La consommation de fibres fermentescibles comme la pectine, la gomme de guar, les fructanes la stimule.

Vertus anti-âge

Les polyamines exercent des effets bénéfiques au cours du vieillissement. Elles sont en effet en mesure d’activer des processus protecteurs au sein des cellules. Elles promeuvent l’autophagie, ce phénomène qui permet le recyclage des structures endommagées. Elles préservent par ailleurs le fonctionnement des mitochondries, les organites responsables de la production de l’énergie cellulaire.

Photo d'une main de soignant tenant la main d'une personne âgée.
La quantité de polyamines décline au cours du vieillissement.

Effets du vieillissement

L’équilibre de l’organisme en polyamines s’altère au fil du temps. Des chercheurs ont examiné l’évolution de leur quantité chez des souris âgées de 3, 10 et 26 semaines. Si le taux de spermidine est resté stable à ces différentes étapes de la vie dans le pancréas, le cerveau ou l’utérus, il a décliné légèrement au niveau intestinal et de manière plus marquée dans le thymus, la rate, l’ovaire, le foie, l’estomac, le poumon, le rein, le cœur et la peau chez les souris âgées.

L’Homme n’échappe pas à cette tendance. La quantité de polyamines à tendance à diminuer dans l’organisme au cours du vieillissement, en raison de la réduction de la disponibilité de certaines des enzymes impliquées dans leur production.

Amélioration de la longévité

Restaurer des niveaux satisfaisants en polyamines pourrait-il dans ce contexte alléger les signes du vieillissement ? Diverses études ont été menées en laboratoire pour éclaircir cette question. Des résultats prometteurs ont été obtenus avec l’administration de spermidine, qui a prolongé la durée de vie des mouches Drosophila melanogaster jusqu’à 30% et des vers nématodes Caenorhabditis elegans jusqu’à 15%.

Dans des cultures de cellules immunitaires humaines, l’ajout de spermidine a optimisé leur viabilité, avec une proportion de cellules viables atteignant encore 50% après 12 jours, contre seulement 15% en l’absence de ce composé.

Dans le cadre d’un autre projet, l’alimentation des souris a été enrichie, à partir de l’âge de 24 semaines, avec des doses variables de spermidine et de spermine, classées comme faible, modérée ou élevée. À 88 semaines, les animaux ayant reçu l’alimentation la plus riche en polyamines ont présenté une expression réduite des marqueurs de sénescence, par rapport à leurs homologues, au niveau des reins et du foie. Leur taux de survie a été plus élevé que celui des autres groupes.

Graphique représentant l'amélioration du taux de survie des souris bénéficiant d’une alimentation riche en spermidine.
Amélioration du taux de survie des souris bénéficiant d’une alimentation riche en spermidine (C).

Diminution du risque de décès

S’il est difficile de savoir si ces découvertes peuvent s’appliquer à notre espèce, une étude ayant suivi un groupe de 829 personnes pendant 20 ans apporte des éléments instructifs. Au cours de cette période, 341 décès sont survenus. Lorsque les habitudes alimentaires des participants ont été examinées, il est apparu que des apports élevés en spermidine étaient associés à une baisse de la mortalité. En effet, dans ce sous-groupe, 15,1 décès pour 1000 personnes/année ont été enregistrés, contre 40,5 décès pour 1000 personnes/année dans le sous-groupe aux plus faibles apports.

La réduction du risque de mortalité liée à un régime alimentaire riche en spermidine était équivalente à un gain de 5,7ans, selon les estimations des auteurs de l’étude. La spermidine était associée à la baisse de mortalité la plus forte parmi les 146 nutriments passés au crible par les chercheurs.

Enrayer le déclin cérébral

Les effets anti-âge des polyamines seraient particulièrement bénéfiques dans le contexte du vieillissement cérébral. Une équipe s’est intéressée au lien éventuel entre les apports alimentaires en spermidine et la santé psychique. Les données exploitées provenaient d’une étude basée sur un échantillon de population vivant à Bruneck en Italie, suivi pendant plus de 25 ans. Chez les personnes d’une soixantaine d’années, la consommation de plus de 11,59mg de spermidine par jour était associée à un risque plus faible de développer un trouble cognitif, par rapport à des apports quotidiens de moins de 9mg. Un lien entre les apports alimentaires en spermidine et l’épaisseur du cortex cérébral a par ailleurs pu être établi.

La supplémentation stimule la cognition

Dans ce contexte, de premiers essais cliniques ont été menés pour évaluer les effets de la supplémentation en spermidine sur les fonctions mentales. Les effets de la consommation de 1,9 mg ou 3,3 mg de spermidine 6 jours par semaine pendant 3 mois ont été évalués chez 80 personnes de 60 à 96 ans. La dose la plus élevée a amélioré le score au Mini-Mental State Examination, un outil d’évaluation du fonctionnement mental global, en particulier chez les participants souffrant de démence légère. Chez ceux recevant la plus faible dose, les performances cognitives ont été constantes ou ont décliné.

La prise quotidienne d’un extrait végétal contenant 1,2 mg de spermidine chez des volontaires de 60 à 80 ans s’est quant à elle traduite par une amélioration modérée de la mémoire.

Impact cardiométabolique

Les polyamines disposent de propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, qui pourraient jouer un rôle crucial dans la prévention de certaines maladies chroniques, notamment les affections cardiovasculaires.

Fonctionnement des vaisseaux sanguins

L’intégrité fonctionnelle des vaisseaux sanguins est l’un des principaux piliers de la santé cardiovasculaire. Elle est en effet déterminante pour assurer un apport sanguin adéquat à l’ensemble des organes et tissus du corps et soutenir leurs activités.

Graphique représentant l'effet de la supplémentation en spermidine sur les capacités de dilatation des vaisseaux sanguins chez des souris jeunes ou âgées.
La supplémentation en spermidine rétablit les capacités de dilatation des vaisseaux sanguins des souris âgées (OS).

Elle a cependant tendance à se dégrader au cours du vieillissement, mais ce phénomène pourrait être tempéré grâce à la spermidine, selon des données recueillies chez la souris. Les artères des animaux âgés de 28 mois sont plus rigides de 20% par rapport à celles des jeunes de 4 mois. Leur capacité à se dilater sous l’influence du flux sanguin est réduite de 25%, car la production d’oxyde nitrique, un puissant composé vasodilatateur, est entravée. Elles comportent une quantité importante de radicaux libres et de produits de glycation avancée qui précipitent le vieillissement vasculaire. Lorsque ces souris âgées ont bénéficié de spermidine dans leur ration alimentaire, ces paramètres se sont améliorés de façon significative.

En apportant à l’organisme des polyamines supplémentaires, la voie de production interne est moins sollicitée. Cette approche permet ainsi d’économiser le substrat de départ, l’arginine. Dès lors, celle-ci est disponible en plus grande quantité pour assurer la formation de l’oxyde nitrique dont elle est le précurseur.

Protection contre les maladies cardiovasculaires

Les données de la cohorte de Bruneck précédemment évoquée ont également été exploitées afin d’observer l’impact du contenu en polyamines de l’alimentation sur le risque cardiovasculaire. Les apports élevés en spermidine se sont avérés garants d’une pression artérielle réduite et protecteurs contre la survenue de l’insuffisance cardiaque, des maladies coronariennes aiguës, des accidents vasculaires cérébraux et des décès liés à des maladies vasculaires.

Cette analyse confirme la relation inverse observée lors d’une étude conduite dans 48 pays occidentaux entre les apports en spermidine et le risque de maladies cardiovasculaires.

Action anti-obésité

Ces bienfaits sur la sphère cardiovasculaire pourraient en partie être liés à l’action anti-obésité des polyamines. Des travaux menés chez la souris suggèrent que la spermidine prévient l’accumulation des graisses en cas de régime alimentaire déséquilibré, en stimulant la lipolyse dans les graisses viscérales.

Il est par ailleurs possible de recourir à l’administration de probiotiques pour obtenir des bienfaits dans ce contexte. La consommation de Bifidobacterium animalis pendant 12 semaines par des souris obèses a stimulé la production de polyamines au sein de leur tube digestif. En retour, plusieurs paramètres reflétant la santé des animaux se sont améliorés, notamment la sensibilité à l’insuline, l’inflammation du tissu graisseux et la fonction protectrice de la barrière intestinale.

La spermidine prévient l’obésité en cas d’alimentation déséquilibrée chez l’animal.

Prévenir la maladie du foie gras

Les polyamines pourraient également avoir un impact sur le développement de la stéatohépatite non alcoolique (NASH). Cette maladie du foie est caractérisée par l’accumulation excessive de graisses au sein de cet organe, associée à une inflammation et à la survenue de fibrose. Les personnes souffrant de cette pathologie ont de plus faibles apports en spermidine que le reste de la population. Leurs symptômes sont d’autant plus marqués que le taux de spermidine dans le sang ou les selles est bas. Chez des souris utilisées comme modèle d’étude de la maladie, l’administration de spermidine permet de réduire l’accumulation des lipides dans le foie, la résistance à l’insuline, le niveau d’inflammation et la fibrose hépatique. Elle permet de stimuler l’activité des mitochondries et favorise le déstockage des graisses. Il apparaît en revanche nécessaire de favoriser la prévention de la maladie plutôt que de prendre des quantités importantes de spermidine lorsqu’elle a atteint un stade avancé. En effet, elle pourrait favoriser la survenue de lésions précancéreuses du foie en stimulant la prolifération cellulaire.

Dans quels cas limiter les polyamines ?

Malgré les bienfaits associés aux polyamines sur la santé, un régime alimentaire pauvre en ces composés semble utile dans des circonstances bien particulières.

Priver les cellules cancéreuses de leur carburant

Le métabolisme des polyamines est perturbé au sein des cellules cancéreuses, qui les utilisent comme ressource pour leur multiplication effrénée. Le gène qui permet la formation de l’enzyme ornithine décarboxylase, à l’origine de la production des polyamines, est considéré comme un proto-oncogène. Il est surexprimé dans les cellules cancéreuses et contribue à leur prolifération.

On retrouve par exemple une plus grande quantité de polyamines dans les tumeurs colorectales que dans les tissus environnants sains de la paroi intestinale.

Certaines approches développées dans le domaine de la cancérologie ciblent les polyamines. Un composé capable de bloquer l’action de l’ornithine décarboxylase, la difluorométhylornithine (DFMO), a été mis au point pour limiter la production des polyamines. Son efficacité est en cours d’évaluation, contre le cancer, mais également d’autres maladies impliquant une hyperprolifération des cellules.

Un régime pauvre en polyamines est par ailleurs parfois conseillé aux patients. Des bienfaits ont été constatés lors d’une étude menée auprès de 33 hommes souffrant d’un cancer de la prostate, chez qui les douleurs ont été atténuées.

Atténuer les douleurs

Les polyamines exercent un effet stimulant sur les récepteurs NMDA présents au niveau du cerveau. Ceux-ci sont impliqués dans la perception de la douleur et amplifient ce signal. Ainsi, en réduisant la quantité de polyamines disponibles, il est possible de tempérer l’hypersensibilité à la douleur.

Cette méthode pourrait ainsi apporter un soutien dans le contexte de douleurs chroniques ou aiguës. Elle a déjà été testée avec succès chez des patients devant subir une opération de la colonne vertébrale. Une alimentation pauvre en polyamines, débutant 7 jours avant l’intervention et se prolongeant 5 jours après celle-ci, a permis d’alléger les douleurs et d’améliorer la qualité de vie des participants.

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