Musculation : pourquoi on est plus fort quand on est gras ?

Modifié le 15 décembre 2023

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hommes forts lors d'une compétition de strongman

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Le tissu graisseux produit de nombreuses substances hormonales appelées les adipokines. La plupart de ces substances sont connues pour leurs effets néfastes sur la santé. Pourtant, le tissu graisseux peut aussi être pourvoyeur de bienfaits, en particulier lors de la pratique d’exercices physiques à haute intensité comme la musculation. Dans cet article nous allons voir le rôle que joue le tissu graisseux dans le développement de la force musculaire.

La graisse favorise la construction du muscle

Le tissu graisseux émet divers messagers, que l’on regroupe sous leur terme générique d’adipokines. L’une des principales adipokines est la leptine, principalement connue pour ses effets régulateurs de l’appétit, grâce à la sensation de satiété qu’elle confère. Elle participe en outre au métabolisme du glucose et des lipides, est impliquée dans l’immunité, la reproduction ou le contrôle de la pression sanguine. Elle agit par l’intermédiaire de récepteurs situés en surface des cellules.

schéma montrant la liaison de la leptine à son récepteur
La liaison de la leptine à son récepteur déclenche une cascade de réactions dans la cellule.

La leptine joue également un rôle crucial au niveau des muscles, comme en atteste la présence en abondance de ses récepteurs à leur niveau. Des études chez l’animal permettent de mieux comprendre la fonction qu’elle y remplit. Il existe une souche de souris dont le gène produisant la leptine a été neutralisé. Chez ces animaux, la déficience en ce composé est associée à une masse musculaire plus faible qu’à la normale. 

Dans le cadre d’une étude menée en Espagne, les chercheurs ont observé les effets de l’administration de leptine à ces animaux, en se focalisant sur leurs muscles. Ils ont constaté que l’intervention permet aux souris de prendre de la masse musculaire. Ils ont mis à jour certains mécanismes sous-jacents.

Effet anti-catabolique

La leptine a bloqué l’action d’un composé, FoxO3a. Celui-ci est un facteur de transcription, un composé capable de gouverner l’action de certains gènes.

Il active notamment deux d’entre eux, MAFbx et MuRF1. Ces gènes sont à l’origine de la production d’enzymes, les ubiquitine ligases, qui détruisent les fibres musculaires. L’administration de leptine a ainsi permis de temporiser ce phénomène. Par ailleurs, la production de myostatine, une protéine qui s’oppose à la croissance musculaire a été diminuée, tandis que celle de PGC-1α, qui exerce des effets bénéfiques sur le muscle, a augmenté. 

Effet anabolisant

Une autre équipe a confirmé l’impact de la leptine sur la masse musculaire et la force. Si elle n’ a pas constaté d’effet protecteur de la leptine contre le catabolisme musculaire comme dans l’étude précédente, elle a mis en évidence sa capacité à activer la synthèse des protéines musculaires, ce qu’on appelle communément “l’anabolisme”.

Ces données font échos à des travaux antérieurs menés sur des cultures de cellules souches musculaires. Ils avaient révélé la synergie entre la leptine et la leucine, un acide aminé au pouvoir anabolique, pour réguler le métabolisme des protéines au sein des muscles.

Contrôle de la force de contraction musculaire

La leptine n’est pas seulement déterminante pour la masse des muscles, mais également pour leur fonctionnement. Des anomalies dans les flux de calcium au niveau des fibres musculaires ont été détectées chez des souris privées de l’action de la leptine, qui ont engendré une fatigabilité prématurée.

Les travaux menés par l’équipe américaine ont révélé ce type d’anomalies chez des souris dépourvue de tissu graisseux. Chez ces animaux, une baisse de la tension contractile maximale d’environ 20% a été enregistrée au niveau des muscles comportant une part importante de fibres musculaires à contraction rapide. Ces fibres de type II sont cruciales en musculation, car elles permettent la réalisation de mouvements explosifs et puissants.

Lorsque les chercheurs ont réimplanté des graisses à une partie de ces animaux, à hauteur d’environ 10% de leur masse, les capacités contractiles ont été complètement restaurées. Ils ont pu prouver que la leptine sécrétée par les adipocytes en était responsable, car cette expérience réalisée chez des animaux n’y réagissant pas s’est révélée infructueuse. 

Ces travaux sont en adéquation complète avec les observations faites depuis toujours dans le domaine sportif : lorsqu’on perd beaucoup de graisse (par exemple dans le cadre d’une sèche), la force chute fortement même sans changement de la masse musculaire maigre.

Un équilibre à trouver

Si la présence de tissu graisseux apparaît cruciale pour le développement musculaire et pour la force, son excès est au contraire délétère. La surcharge pondérale engendre une production accrue de leptine.

Des analyses ont montré que sa concentration sanguine moyenne est d’un peu plus de 30 ng/ml chez les personnes obèses, contre 7,5 ng/ml chez les personnes minces. Cet afflux de leptine engendre une insensibilisation de l’organisme à son action. Ses récepteurs sont produits en quantité plus faible, à la fois au niveau du cerveau et des muscles. Dans ces circonstances, elle ne peut plus exercer ses bienfaits musculaires de manière optimale.

graphique montrant que l'expression du récepteur à la leptine  est réduite dans les muscles en cas d'obésité.
L’expression du récepteur à la leptine est réduite dans les muscles en cas d’obésité (en marron).

Par ailleurs, l’augmentation du volume des graisses dans l’organisme favorise la résistance à l’insuline. Cette hormone, produite par le pancréas pour réguler la glycémie, exerce des effets favorables sur le développement muscles. Elle stimule la synthèse protéique et lutte contre leur dégradation.

De nombreux haltérophiles ou “hommes forts” sont pourtant en surpoids, voire en obésité. Ce paradoxe pourrait s’expliquer par le fait que la pratique d’une activité physique intense protège de la résistance à l’insuline et de la résistance à la leptine. Ces sportifs parviennent ainsi à obtenir les bienfaits de taux élevés de leptine sans en avoir tous les inconvénients.

une pince est utilisée pour mesurer l'épaisseur de la graisse abdominale d'un volontaire.
La graisse corporelle a des effets différents chez le sédentaire ou chez le sportif de haut niveau.

La graisse assiste la régénération musculaire

Les muscles possèdent de grandes capacités de régénération, qui permettent de réparer les dommages provoqués par la pratique sportive ou une blessure. Elles reposent sur l’existence de cellules souches, les cellules satellites, localisées en surface des fibres musculaires.

Elles ont la capacité de se multiplier et de différencier pour remplacer le tissu abîmé. Elles n’œuvrent toutefois pas seules ; elles sont notamment assistées par un autre type de cellules, les progéniteurs fibro-adipogéniques (FAP), elles aussi résidentes du muscle.

Lorsqu’il est intact, elles sont à l’état dormant. En cas de dommages musculaires, elles se mettent à proliférer et stimulent la multiplication des cellules souches, qui vont reconstruire le muscle.

Une réserve de cellules souches

Dans ce processus, le tissu graisseux joue un rôle prépondérant resté longtemps méconnu.

Des travaux récemment publiés dans la revue Nature le décrivent. Les chercheurs qui les ont conduits sont partis d’une observation singulière. En cas de blessure, la prolifération des FAP présentes au sein du tissu musculaire ne se produit que trois jours après sa survenue. Pourtant, des cellules de ce type déjà activées sont visibles bien plus tôt, dans les quelques heures qui la suivent. D’où proviennent-elles donc ?

Notant que le tissu graisseux localisé sous la peau contient des cellules ressemblant fortement aux FAP – un type de cellules souches appelées cellules stromales adipeuses ou ASC – ils ont émis une hypothèse. Le tissu graisseux sous-cutané agirait comme un réservoir de ces cellules aux effets guérisseurs.

Migration du tissu graisseux vers le muscle

Pour tester cette hypothèse, plusieurs expériences ont été conduites. L’une d’elles a montré que lorsqu’un muscle subit une lésion, l’augmentation de la quantité de FAP dans le muscle va de pair avec la baisse de la quantité d’ASC dans la graisse sous-cutanée. Cette première analyse plaide en faveur d’un transfert des cellules d’un tissu vers l’autre.

graphique montrant l'augmentation de la quantité de FAP dans le muscle et la diminution simultanée de la quantité d’ASC dans la graisse
Augmentation de la quantité de FAP dans le muscle et diminution de la quantité d’ASC dans la graisse dans les mêmes proportions.

Cette migration a ensuite été confirmée grâce à un marquage par fluorescence des ASC, qui a permis de visualiser leur infiltration au sein du muscle lésé. C’est donc bien la graisse qui fournit au muscle les cellules qui vont faciliter la réparation des dégâts, dans les premiers temps qui suivent la blessure.

Une protection contre les blessures

Dans cette même étude, les chercheurs ont également montré que le sang prélevé chez des sportifs après un entraînement exerce un fort effet attractif sur ces ASC. Il pourrait être médié par un messager, le GDF-15, qui reflète le niveau de fatigue musculaire. Les ASC du tissu graisseux seraient ainsi mobilisées dès que le muscle commence à émettre des signaux de détresse, dans le but de préserver son intégrité et d’éviter les lésions.

Une cure de jouvence pour les muscles âgés

Les cellules souches du tissu graisseux ont un fort potentiel en termes de régénération grâce à un autre mécanisme. Comme de nombreux types cellulaires, elles émettent des vésicules extracellulaires. Ces particules assurent le transfert de molécules signal (protéines, petits ARN et ADN) entre les cellules. Elles suscitent un engouement particulier en médecine régénérative. 

Une étude a examiné les effets de l’administration de vésicules extracellulaires issues de cellules souches du tissu graisseux, prélevées sur des souris jeunes, à des souris âgées. Les animaux ainsi traités ont montré moins de signes de fragilité que leurs congénères du même âge. Ils ont eu de meilleures performances sur les tests évaluant leurs aptitudes physiques. La qualité de leurs muscles a été améliorée, avec des fibres plus nombreuses et plus épaisses, et comportant moins de dépôts graisseux. Les niveaux de stress oxydants et d’inflammation ont par ailleurs été atténués. 

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