Cancer : faut-il prendre des antioxydants ?

Modifié le 22 décembre 2023

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Les antioxydants, naturellement produits par notre organisme ou présents dans les aliments, nous préservent contre les méfaits des radicaux libres. S’ils s’avèrent protecteurs contre le cancer dans certaines circonstances, une supplémentation peut aussi devenir nocive.

Tout dépend de la dose, du type d’antioxydant et du moment d’administration. Explications dans cet article.

Une alimentation riche en antioxydants est protectrice contre le cancer

Les antioxydants permettent de lutter contre le stress oxydant qui peut contribuer à l’apparition de cancers. Un exemple typique est celui du tabagisme, dans lequel les niveaux élevés de radicaux libres favorisent l’apparition du cancer du poumon.

Les antioxydants de l’alimentation neutralisent les radicaux libres

Certains constituants des aliments que nous consommons possèdent des propriétés antioxydantes :

Aliments contenant de la vitamine C
  • des minéraux (sélénium, zinc) ;

Ces molécules sont capables de neutraliser les espèces réactives de l’oxygène, ou radicaux libres, qui contribuent à l’installation de maladies chroniques comme le cancer, lorsqu’elles sont présentes en excès dans l’organisme. La consommation de fruits et légumes qui regorgent de ces composés bioactifs apparaît donc comme un moyen de réduire le risque de développer certains cancers.

Un lien entre apports en antioxydants et risque diminué de certains cancers

Plusieurs équipes de chercheurs ont examiné les effets d’une consommation élevée d’antioxydants en provenance des aliments sur le risque de développer un cancer. Les nombreuses données recueillies ont fait l’objet d’analyses plus globales, ou méta-analyses.

Moins de cancers avec des apports croissants en vitamines A, C et E

Quelques molécules de caroténoïdes

L’une de ces méta-analyses a porté sur le cancer du pancréas. Elle a mis en évidence une réduction du risque de développer cette maladie chez les personnes ayant les plus forts apports alimentaires en sélénium, vitamine C, vitamine E, β-carotène et β-cryptoxanthine. Cette réduction du risque atteignait des valeurs de 26 à 53 %, selon l’antioxydant considéré.

D’autres méta-analyses ont porté sur le cancer du poumon. Un risque réduit de 7 % a été mis en évidence pour toute augmentation des apports en vitamine C de 100 mg au quotidien. Les plus hauts niveaux de consommation de vitamine E sont associés à une diminution du risque d’en être affecté de 14 %. Des apports alimentaires élevés en β-carotène et vitamine A apparaissent également protecteurs contre ce cancer.

Cette dernière semble aussi exercer un effet préventif contre le gliome, un cancer qui se développe au niveau du cerveau.

Par ailleurs, une étude américaine a montré que les femmes ayant les niveaux sanguins les plus élevés en α et β-carotène, lutéine, zéaxanthine et lycopène sont mieux préservées contre le cancer du sein.

Les vertus anticancéreuses des flavonoïdes

Les flavonoïdes sont également de puissants antioxydants. Une alimentation riche en ces composés est associée à une diminution du risque de développer un cancer colorectal, de l’estomac, du sein ou de la prostate. Deux d’entre eux, la quercétine et la fisétine, possèdent des propriétés anticancéreuses prometteuses.

Les sous-classes de flavonoïdes

La supplémentation en antioxydants à haute dose ne prévient pas le cancer, bien au contraire

Les observations émanant des études épidémiologiques précédentes ont naturellement conduit a considérer les antioxydants comme de potentielles armes pour se prémunir du cancer ou, le cas échéant, le combattre une fois installé. Les essais cliniques engagés pour tester leur efficacité lorsqu’ils sont administrés sous forme de compléments alimentaires à haute dose n’ont cependant pas apporté les bénéfices escomptés.

Augmentation du risque de cancer de la prostate avec une forte dose de vitamine E

Incidence du cancer de la prostate dans l’étude SELECT

Les résultats d’une vaste étude destinée à évaluer l’efficacité de deux antioxydants, la vitamine E et le sélénium, pour prévenir le développement du cancer de la prostate ont été publiés en 2011. Cet essai clinique, baptisé SELECT (Selenium and Vitamin E Cancer Prevention Trial) a regroupé environ 35 000 hommes de plus de 50 ans vivant aux États-Unis, au Canada ou à Porto Rico. Les participants ont reçu sur plusieurs années 268 mg de vitamine E par jour, 200 μg de sélénium, les deux composés à la fois, ou un placebo. Aucune de ces approches n’a permis de réduire le risque de cancer de la prostate. Au contraire, l’administration de vitamine E a conduit à une augmentation de celui-ci de 17 %.

Une situation particulièrement préoccupante dans la mesure où la moitié des plus de 60 ans prennent des suppléments de vitamine E aux États-Unis, 23 % utilisant de fortes doses dépassant les 268 mg par jour. Ces niveaux sont bien éloignés des doses physiologiques dont notre organisme a besoin pour son fonctionnement quotidien. En France, les apports satisfaisants en vitamine E sont fixés à 10 mg par jour pour les hommes, 9 mg pour les femmes.

Risque accru de cancer du poumon chez les personnes au système respiratoire fragilisé

L’essai clinique SELECT n’est pas le seul à avoir pointé un surrisque de cancer avec une supplémentation en antioxydants. Il a également été constaté lors d’études menées auprès d’hommes aux poumons abîmés par des années de tabagisme ou d’exposition à l’amiante.

Incidence du cancer du poumon chez des fumeurs qui ont pris des bêta-carotènes

Par exemple, l’administration de 20 mg par jour de β-carotène pendant cinq à huit ans s’est traduite par une élévation du risque de cancer du poumon de 18 % chez des fumeurs. Et la prise d’une combinaison de 30 mg de β-carotène et de 25 000 UI de vitamine A pendant quatre ans en moyenne a augmenté ce risque de 28 %, chez des fumeurs, anciens fumeurs et travailleurs exposés à l’amiante.

Face à ces résultats inquiétants, les chercheurs ont stoppé précocement ces essais cliniques. Un suivi de ces hommes plusieurs années après la fin de la supplémentation a montré que l’augmentation du risque de cancer de poumon persiste pendant trois ans, pour finir par revenir à la normale.

Tabac et β-carotène à haute dose : un mélange propice à la survenue du cancer du poumon

Pour mieux comprendre la raison pour laquelle la supplémentation en β-carotène favorise la survenue du cancer du poumon dans ces circonstances, des chercheurs ont mené des expériences chez des animaux de laboratoire. Ils ont constaté que des lésions précancéreuses apparaissent au niveau de l’appareil respiratoire en cas d’exposition conjointe à la fumée de cigarette et au β-carotène.

L’organisme des animaux ainsi traités présente des dérivés oxydés de β-carotène, résultant de l’action des radicaux libres générés par le tabagisme. Ces composés favorisent notamment la liaison des produits cancérogènes de la fumée de cigarette à l’ADN, créant des dégâts propices au développement du cancer. Ainsi, au lieu de créer un environnement antioxydant protecteur, l’administration de β-carotène renforce son caractère pro-oxydant défavorable.

En revanche, l’administration de doses physiologiques de β-carotène – équivalentes à 6 mg pour l’être humain, soit ce que l’alimentation peut fournir – exerce un effet protecteur contre les lésions précancéreuses induites par le tabagisme. En France, les apports recommandés pour les hommes adultes sont 750 µg équivalents rétinol (ER) pour la vitamine A, soit 9 mg de bêta-carotène, car il faut 12 µg de bêta-carotène pour obtenir 1 µg ER de vitamine A.

Le double jeu des antioxydants en cas de cancer

Ces études illustrent bien la complexité du rôle des antioxydants, et des espèces réactives de l’oxygène qu’ils neutralisent, en cas de cancer. L’effet semble changer en fonction de la dose mais aussi en fonction de la forme chimique utilisée.

Le stress oxydant favorise les processus cancéreux

Les espèces réactives de l’oxygène sont un sous-produit généré lors du fonctionnement normal des cellules. Elles sont très réactives et peuvent endommager les constituants cellulaires. Notre organisme dispose donc d’un ensemble de composés pour les neutraliser. Cet arsenal est constitué par les antioxydants provenant de notre alimentation, mais également par des molécules produites au sein de notre organisme. Parmi ces dernières, figurent notamment trois enzymes : la superoxyde dismutase, la catalase ou la glutathion peroxydase.

Lorsque les capacités antioxydantes sont submergées par un excès de radicaux libres, on parle de stress oxydatif. Ce phénomène est propice à la survenue du cancer. En effet, les espèces réactives de l’oxygène peuvent générer des dommages au niveau de l’ADN et provoquer l’activation d’oncogènes, ces gènes qui promeuvent les processus cancéreux.

Exemples d’aliments riches en antioxydants

Les radicaux libres peuvent être utiles une fois le cancer installé

Diminuer les niveaux de stress oxydant peut contribuer à prévenir le risque de survenue d’un processus cancéreux. Cependant, une fois qu’il est amorcé, les radicaux libres peuvent s’avérer bénéfiques, car ils sont en mesure de détruire les cellules cancéreuses.

Le stress oxydatif est augmenté en cas de cancer

Les cellules cancéreuses produisent une quantité de radicaux libres plus importante que les tissus sains, notamment en raison de l’activité particulièrement soutenue de leurs mitochondries, les unités productrices d’énergie. Ils proviennent également du fonctionnement de certaines protéines spécifiques du cancer ou dont la production est accrue en cas de cancer, ainsi que des cellules immunitaires environnantes. Les personnes atteintes de cancer du poumon exhalent ainsi plus de peroxyde d’hydrogène – un composé oxydant – que les personnes épargnées par cette maladie. Des niveaux plus élevés d’un marqueur de stress oxydant sont identifiables dans les tissus provenant de tumeurs du sein ou de la prostate.

Les cellules cancéreuses cherchent à éliminer leur surplus de radicaux libres

Ce fort niveau de stress oxydant est un point faible pour les cellules cancéreuses, qui font tout leur possible pour l’atténuer. Certains oncogènes stimulent la production d’un facteur de transcription appelé NrF2. Il agit directement sur les gènes assurant la mobilisation du système de défenses antioxydantes pour neutraliser l’excès de radicaux libres à l’intérieur des cellules malignes et leur permettre de prospérer. Offrir des antioxydants par l’intermédiaire d’une supplémentation à haute dose apparaît donc comme une aubaine pour celles-ci et pourrait donc être fortement contre-productif en cas de cancer déclaré.

Chez l’animal, les antioxydants favorisent la progression du cancer dans l’organisme

Plusieurs études menées chez l’animal suggèrent qu’une supplémentation en antioxydants peut favoriser le développement du cancer et sa dispersion dans l’organisme.

Une croissance des tumeurs accélérée

Des travaux conduits chez des souris utilisées comme modèle d’étude du cancer du poumon ont montré que l’administration de deux antioxydants, la N-acétylcystéine (NAC) et la vitamine E, neutralise l’activité d’un gène suppresseur de tumeur, p53. La croissance de la tumeur cancéreuse est ainsi accélérée et le temps de survie des animaux écourté.

Croissance de cellules cancéreuses de sein implantées chez la souris.

Un phénomène comparable a été observé pour le cancer du sein (voir figure ci-contre).

Une dissémination dans l’organisme facilitée

L’administration de NAC et d’un analogue synthétique de vitamine E (Trolox) semble par ailleurs favoriser le développement de métastases au niveau des ganglions lymphatiques chez des souris utilisées comme modèle d’étude du mélanome. Elle n’a en revanche pas d’impact sur le nombre et la taille des tumeurs initiales. Ces antioxydants agissent sur les capacités invasives des cellules cancéreuses en augmentant la production d’une protéine impliquée dans ce phénomène, RhoA.

Une autre équipe de recherche a mis en évidence la capacité de deux enzymes antioxydantes internes, la catalase et la superoxyde dismutase, à faciliter la survie des cellules cancéreuses quand elles se détachent de leur environnement pour aller coloniser l’organisme.

Face à ces données, il semble possible que lors des essais cliniques comme SELECT, l’administration massive d’antioxydants n’ait pas déclenché directement le cancer, mais accéléré le développement de lésions cancéreuses débutantes.

La supplémentation en antioxydants chez les malades du cancer

Ces données invitent à la prudence quant à l’utilisation d’antioxydants à dose élevée chez les malades du cancer. En effet, la radiothérapie et la plupart des médicaments de chimiothérapie doivent leur efficacité à leur cytotoxicité : ils détruisent les cellules cancéreuses en générant un fort stress oxydant. La capacité des cellules cancéreuses à activer leurs défenses antioxydantes est une des voies qui leur permet de devenir résistantes à ces traitements.

En réduisant l’efficacité de la chimiothérapie ou de la radiothérapie, la prise d’antioxydants pourrait donc s’avérer délétère pour les malades, même si elle apparaît en mesure de soulager certains effets indésirables. Des chercheurs spécialisés en oncologie ayant publié une analyse sur l’usage des antioxydants chez les patients souffrant de cancer invitent à la prudence : « l’usage de suppléments antioxydants pendant la chimiothérapie et la radiothérapie devrait être découragé en raison de la possibilité de protection de la tumeur et d’une survie réduite ».

L’usage de suppléments antioxydants pendant la chimiothérapie et la radiothérapie devrait être découragé en raison de la possibilité de protection de la tumeur et d’une survie réduite

(Lawenda et al.)

Supplémentation en antioxydants et cancer du sein ne font pas bon ménage

Certaines données confirment ces craintes. Une étude a par exemple montré que les femmes en cours de traitement par chimiothérapie contre un cancer du sein, ayant pris ou prenant des antioxydants (de la vitamine A, C ou E, des caroténoïdes ou du coenzyme Q10), présentent un risque accru de rechute et de décès. L’utilisation d’un complément de multivitamines n’a en revanche aucun impact négatif sur la survie de ces patientes.

Les doses physiologiques ne semblent pas poser de problèmes.

Risque de rechute majoré chez les fumeurs prenant des antioxydants

Un constat proche a été dressé auprès d’hommes souffrant de cancer de la tête et du cou traités par radiothérapie. L’administration de 400 UI d’alpha-tocophérol et de 30 mg de β-carotène par jour augmente le risque de récidive et la mortalité, mais uniquement chez ceux qui fument pendant le traitement. La raréfaction des radicaux libres dans les cellules cancéreuses provoquée par les antioxydants est renforcée par la privation d’oxygène induite par le tabagisme qui rend difficile leur formation. Ces deux effets combinés pourraient expliquer ces résultats.

La radiothérapie produit des radicaux libres

Pour certains spécialistes, les bénéfices et risques liés à l’usage d’antioxydants chez les malades du cancer ne sont pas clairs, excepté dans le cas précis des hommes fumeurs sous radiothérapie où il est fortement déconseillé. Face aux incertitudes, ils distinguent deux situations :

  1. D’une part, celle des patients qui peuvent espérer une évolution favorable de leur maladie, pour lesquels il ne serait pas pertinent de prendre le moindre risque de réduire l’efficacité des traitements.
  2. D’autre part, celle des personnes en soins palliatifs, chez qui une supplémentation de ce type peut soulager les effets indésirables des traitements engagés bien difficiles à supporter à ce stade de la maladie.

Si une supplémentation à dose élevée d’antioxydants au quotidien n’apparaît pas en mesure de prévenir l’apparition du cancer et qu’elle pourrait aggraver son évolution, ces composés restent bénéfiques lorsqu’ils sont consommés à des doses conformes aux besoins de notre organisme. Celles-ci peuvent être obtenues dans le cadre d’une alimentation diversifiée ou d’une supplémentation bien équilibrée.

En conclusion, chez les personnes en bonne santé, les apports alimentaires en antioxydants, à des doses physiologiques, semblent réduire le risque d’apparition d’un cancer.

En revanche, les fortes doses d’antioxydants peuvent s’avérer délétères et favoriser certains cancers. Dans la mesure où les traitements du cancer agissent grâce au stress oxydant, la prise d’antioxydants pendant ces traitements n’est pas conseillée.

A noter toutefois que les études actuelles n’ont pas testé l’effet de la supplémentation avec des polyphénols/flavonoïdes végétaux.

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